2003 Métiers et carrières de la coopération urbaine – Point de vue d’une ONG sur le marché des projets urbains dans les pays du Sud

Document préparé par Caroline Martin, sous la direction de Antoine Olavarrieta, Françoise Reynaud et François Vergès, AdP c/o ISTED – Villes en développement.


Point de vue d’une ONG sur le marché des projets urbains dans les pays du Sud.

Serge Allou, GRET, Groupe de Recherche et d’Echanges Technologiques.

J’ai été invité à vous présenter le point de vue d’une ONG sur le marché des projets urbains dans les pays en développement. Le GRET, le Groupe de Recherche et d’Echanges Technologiques est une association loi 1901, de solidarité internationale, qui met en œuvre des projets dans des secteurs très diversifiés, dont le secteur urbain. Son budget annuel est de l’ordre de 13 millions d’euros; le GRET emploie une petite centaine de personnes sous contrat français, ainsi qu’un ensemble de personnes (autour de 300 selon mes estimations) dans le cadre de contrats de travail locaux, dans les pays en développement. Les deux tiers du budget du GRET concernent la mise en œuvre de projets de terrain dans les pays en développement. Le cœur de notre action est la mise en œuvre de projets avec un objectif qui est d’être présent dans le pays, de relever ce défi, et d’assumer une coopération de la présence qui ne soit pas une coopération de substitution ni d’assistance.
Le développement urbain est une partie de nos activités. On travaille aussi sur le développement rural, la micro-finance, les médias, etc.

Quel marché pour les ONG ?

Je voudrais vous livrer une réflexion sur notre marché, en vous donnant quelques éléments de contexte général. Cela va, à ce niveau de considérations générales, au-delà de l’urbain. J’en soulignerai quatre.
Le premier c’est que les ONG d’une façon générale, ont accès à un marché du financement de leurs projets qui prend essentiellement la forme de guichets. Les éléments de doctrine sont très faibles parmi les bailleurs, et le développement urbain en est assez généralement absent. Prenez par exemple l’Union Européenne : elle a un certain nombre de lignes de financement un peu lourdes. On va y retrouver les droits de l’Homme, la sécurité alimentaire, l’environnement, etc.. il n’y a rien qui puisse financer le développement urbain à proprement parler. Donc, quand on veut avoir accès à l’Union Européenne pour financer des projets de développement urbain, la seule possibilité aujourd’hui est de s’adresser au guichet de co-financement des ONG, la fameuse ligne B7-6000 ouverte à tous les types de projets.
Le second point est que dans cette logique de guichet, les ONG sont tenues de mobiliser des cofinancements, dont quelquefois une part incompressible (15%) de fonds privés. Cela est la règle à l’UE mais aussi au MAE. En d’autres termes, lorsque vous ne répondez pas à un appel d’offre (où vous êtes alors opérateur d’un commanditaire et donc financé à 100%) et que vous souhaitez proposer un projet que vous avez vous-même élaboré, vous ne pouvez avoir accès, à travers ces guichets, qu’à une part limité des financements nécessaires à sa mise en œuvre. Si vous voulez préserver cette force de proposition qui fait le propre d’une association, de proposer des projets, de construire des choses, etbien vous êtes confronté à ce problème. C’est un vrai problème, dans le sens où vous n’êtes à aucun moment assuré de pouvoir rassembler l’ensemble des moyens nécessaires et que bien sûr la décision d’un bailleur n’entraîne pas nécessairement la décision de l’autre. On vous encourage par exemple en France à aller solliciter des financements multilatéraux mais sans aucune garantie qu’une fois ceux-ci obtenus, les cofinancements nécessaires, qui pourraient être de nature bilatérale, soient mobilisés en complément de façon souple. En Angleterre par exemple aujourd’hui cela fonctionne ainsi : vous obtenez des fonds multilatéraux, la coopération bilatérale les complète automatiquement.
Dans ce contexte, le montage financier des projets est de plus en plus complexe et prend un temps considérable. Et il y a plus : vis à vis de chaque bailleur vous êtes redevable de l’ensemble du projet présenté et non pas de la seule part cofinancée. Cela fait courir aux associations des risques énormes. Concrètement nous avons été confrontés à ce problème et notre commissaire aux comptes a attiré notre attention et nous a obligé de réaliser des dotations en provision pour risque de cofinancement. Souvent vous n’attendez pas en effet la décision ferme et définitive de tous les bailleurs sollicités pour démarrer. Le gros d’un budget étant acquis, vous vous dites que vous trouverez les cofinancements nécessaires restants en cours de route. Mais de fait vous prenez le risque de devoir rembourser votre bailleur principal si cela ne se fait pas. Là-dessus, comme je l’ai dit, certains bailleurs exigent qu’une part des fonds mobilisés soient de nature privée. Sur de petits projets, on peut effectivement parvenir à rassembler ces fonds privés, mais quand vous êtes sur des projets qui ont une certaine surface financière, cela devient un autre casse-tête. En France, où les fondations par exemple sont très peu nombreuses, la mobilisation de financements privés est extrêmement difficile. Je ne m’étends pas là-dessus.
Troisième élément de contexte : le fait que de plus en plus, la rémunération des prestations qui sont celles des ONG qui se présentent à ces guichets, sont de moins en moins bien rémunérées. A l’Union Européenne il est devenu quasiment impossible de faire financer quelque prestation technique que ce soit de base arrière, d’appui du siège à la réalisation des projets. De même il est exigé que vos prestations soient facturées au coût réel de la masse salariale directement impliquée. L’ensemble des prestations de service de l’association (appui technique des gens du siège, coûts centraux de comptabilité, de gestion financière des projets, etc.) est renvoyé à un pourcentage extrêmement modeste (7%) de « frais de fonctionnement ». Inutile de dire que ce pourcentage ne couvre absolument pas vos coûts.
Quatrième chose : on assiste de plus en plus à un renforcement de ce qu’on appelle l’aide budgétaire au détriment de l’aide projet. Aide budgétaire aux pays qui va aller croissante dans le cadre des processus de réduction des dettes (Pays Pauvre Très Endettés, PPTE ; Contrat de Désendettement et de Développement, C2D). Les moyens sont mobilisés à travers les budgets des Etats, à charge pour eux s’ils le souhaitent de faire appel à des opérateurs nationaux ou internationaux pour pouvoir mettre en œuvre éventuellement des projets. En d’autres termes le donneur d’ordre, se déplace du Nord vers le Sud. Et si vous n’êtes pas présent concrètement sur le terrain, ce que vous avez de plus en plus de mal à faire comme je viens de vous l’expliquer, et bien vous n’avez pratiquement plus aucune chance d’avoir accès aux financements.
Ajoutons un dernier élément de contexte, simplement pour dire qu’en France, le monde des ONG mobilise 0,6 % de l’aide publique au développement. La France occupe le tout dernier rang en Europe de ce point de vue. La moyenne européenne est de l’ordre de 5%.

Evolution des missions d’aide au développement urbain

En quelques minutes maintenant, quelques informations sur l’évolution des missions d’aide au développement et d’aide au développement urbain en particulier. Je vais rapprocher ça des ressources humaines nécessaires.
Tout d’abord, il faut savoir que le développement urbain n’est pas un thème majeur d’intervention des ONG. Elles sont assez peu nombreuses à agir dans ce secteur. Et celles qui y interviennent, le GRET par exemple, ont clairement fait évoluer, ces vingt dernières années, les thèmes de travail de domaines techniques (la promotion de matériaux locaux dans la construction par exemple) vers des domaines plus sociaux et institutionnels.
En matière de développement social, cela prend la forme d’un appui à l’organisation de groupes d’habitants, à l’organisation d’une société locale en capacité d’être un interlocuteur des pouvoirs publics, un interlocuteur disposant de capacités techniques, financières et institutionnelles pour pouvoir exprimer et faire valoir des solutions. Il y a un champ de développement qui s’est beaucoup développé autour de ce thème du renforcement des organisations sociales, en particulier en Afrique, l’Amérique latine ayant déjà une longueur d’avance de ce point de vue.
Pour certaines ONG sur ces bases, l’enjeu est de passer à l’institutionnel. C’est à dire non seulement de travailler au renforcement des organisations sociales, mais aussi de travailler au renforcement du dialogue, de la concertation, de la négociation pour créer des liens entre ces organisations sociales plus ou moins stabilisées et les pouvoirs publics plus ou moins représentés à l’échelle nationale ou locale. Bref, il s’agit là d’intervenir sur le champ de la construction de compromis négociés pour faire la ville.
Ce qu’on peut aussi noter, c’est l’importance que prennent des éléments qui relèvent de l’ingénierie qu’on pourrait qualifier de financière. La crise fiscale des Etats est claire. On n’est pas dans des logiques fiscales mais dans des logiques contributives : comment on construit des programmes de financement des actions. Comment on essaie de mobiliser des moyens qui vont non seulement concerner une trentaine de familles, mais qui aient un effet de levier pour mettre au point des systèmes de financement des opérations se donnant pour objectif leur pérennité et leur diffusion.
Tout ça pour dire que la dimension technique des projets a fortement diminué. Effectivement on continue d’avoir des supports techniques pour travailler sur ces questions, l’habitat ou les services par exemple. Ce que je veux dire c’est que la technicité diminue dans la mise en oeuvre des projets. On n’est pas des techniciens du réseau d’assainissement, ou comme on pouvait l’être de la mise en œuvre de filières de matériaux locaux, etc. Il y a des éléments qui ont disparu, et il y a des éléments d’ordre social, procédural, institutionnel, financier, qui prennent le pas et qui exigent me semble-t-il un niveau d’expérience différent dans la coopération. Il ne suffit pas d’être jeune ingénieur des Ponts qui peut mobiliser son savoir technique et à partir de là rebondir sur un certain nombre d’autres éléments. On a d’emblée besoin de personnes qui sont en capacité de participer à des jeux sociaux et institutionnels, politiques bien sûr, qui aient une parfaite maîtrise de dispositifs financiers complexes, etc.

L’accueil des jeunes

Sur les questions de mise en œuvre de projets on pourrait penser que les ONG, comme le disait Monsieur Arnaud je crois ce matin, elles pourraient être un premier espace d’apprentissage d’accueil pour des jeunes. Certes, mais dans le contexte que nous connaissons, de restriction des moyens auxquels nous pouvons avoir accès, dans le contexte aussi de « sudification » de l’aide, on va d’abord privilégier l’emploi de compétences nationales avant de mettre en avant des compétences étrangères et en particulier françaises. Et la compétence étrangère qu’on va nécessiter dans ce cadre là pour la mise en œuvre du projet, ce sera bien souvent celle de chef de projet. Or le chef de projet, n’est effectivement pas un jeune. Pour cette fonction, il faut de l’expérience.
Dernier point , sur le volet évaluations-études, vous ne vendez pas des CV de jeunes. Si vous voulez obtenir des marchés d’évaluation, il est très clair que le CV junior ne passe pas. Ce sont les seniors qui sont choisis, même s’ils sont quelquefois payés comme des juniors.
Voilà, j’en ai terminé. J’ai souhaité posé quelques éléments de diagnostic plutôt que d’avancer des solutions que je n’ai pas. Ce que je crois, c’est que sur tous ces points, à partir de ces éléments, il y a besoin de concertation entre les donneurs d’ordre, les opérateurs, les ONG. Comment se construit cette concertation pour avancer et pour relever certains de ces défis ? J’espère que le débat pourra aider à pointer quelques pistes.