A défaut d’une restitution complète des communications de la Journée de septembre 2009, vous trouverez ici les textes de quelques communications, ainsi que des articles ou extraits de documents d’auteurs divers : intervenants ou participants en relation à la thématique de cette Journée.
Journée AdP 2009 : programme (588.68 KB)
L’économie urbaine informelle et ses perspectives, Philippe Hugon, Professeur émérite à l’Université Paris X-Nanterre (108.84 KB) & Extraits de Géopolitique de l’Afrique, Philippe Hugon, Paris SEDES 2009 (143.12 KB)
Discours : « le modèle urbain colonial », par Gustave Massiah et Jean François Tribillon (123.62 KB) (plus d’informations : Le modèle urbain colonial, Gustave Massiah et Jean François Tribillon (211.65 KB))
Trente ans après la publication de l’Atlas de Kinshasa, Jean Flouriot. (753.64 KB)
(Compte – rendu agence en attente des actes de l’ADP)
Les étapes du peuplement urbain et l’émergence d’une société urbaine africaine – Catherine Coquery-Vidrovitch (Professeure Paris VII)
Contrairement à ce que l’on croit, de grandes villes africaines (50 à 100 000 habitants) existaient avant la colonisation. Pour assoir leur présence politique et économique, les colons en ont sélectionnées certaines et créé d’autres ex-nihilo.
Ces villes ont été mises au service du pouvoir colonial, aménagées et développées dans cette perspective, devenant les centres du pouvoir politique (activités militaires, centres administratifs) et économique (organisation de l’exportation maritime des richesses locales vers l’Europe). Le modèle urbain colonial a été fortement théorisé. Une dimension très forte y est donnée au statut des personnes dans l’organisation de l’espace. L’espace urbain organise la séparation. La circulation des personnes entre les secteurs est limitée et règlementée.
La « ville noire » existe en périphérie, mais elle n’est pas prise en compte par les politiques urbaines de cette époque. On appelle ces secteurs des « villages » alors qu’ils peuvent rassembler jusqu’à 500 000 habitants. Ils ne font l’objet d’aucun aménagement ni plan d’urbanisme. Leur gestion est laissée aux chefs coutumiers. D’importants secteurs jugés inutiles ne sont tout somplement pas gérés et se développent de manière spontanée/informelle dès le début du 20ème siècle, produisant un paysage urbain précaire et l’apparition de bidonvilles.
Les chemins de la gouvernance des villes et territoires de l’Afrique Subsaharienne – Jean-Pierre Elong M’Bassi (Secrétaire Général de CGLUA)
Au moment de l’indépendance, les nouveaux Etats nomment des administrateurs pour la gestion des villes. Ils sont alors confrontés à la nécessité d’homogénéisation de la gestion administrative et politique des différents secteurs coloniaux (ville coloniale et ville noire) et cela, dans un contexte d’explosion démographique sans précédent (jusqu’à +10%/an). Les plans organisant le développement sont tous dépassés par la multiplication des secteurs urbains « illégaux » qui peuvent accueillir jusqu’à 80% de la population urbaine.
Depuis 20 ans, pour gérer leur territoire, les Etats ont mis en place une décentralisation. Ces processus mettent en tension nécessité d’ordre et démocratisation. La question de la gouvernance urbaine émerge seulement récemment. Beaucoup de questions restent posées : les responsabilités locales doivent-elles être réservées aux populations locales ? à des candidatures affiliées à des partis ?
Débat :
Le « désordre » est urbain mais aussi institutionnel. Les enjeux liés à la représentation démocratique, la décentralisation et l’urbanisation galopante se télescopent. Comment faire fonctionner les municipalités alors que leurs employés sont sous-payés ? Que leur insolvabilité les empêche de contracter des crédits et que les bailleurs de fonds ne subventionnent pas les dépenses de fonctionnement ? Quelle fiscalité mettre en place ? Comment taxer les plus-values de l’économie informelle ?
De nombreuses opérations de restructuration urbaine visant à donner des droits fonciers aux occupants ont été lancées par la Banque Mondiale. Beaucoup ont été un échec. Les difficultés et les questions posées par ces problématiques restent aujourd’hui non résolues : Comment intégrer le « sol communautaire » au marché ? Comment créer la rente urbaine ? Cela passe t-il par le cadastrage ?
L’évolution des pratiques de la coopération urbaine en Afrique subsaharienne – le cas d’Abidjian – Michel Arnaud (Consultant)
Ville de 4 millions d’habitants (90 000 en 1950 soit une population multipliée par 50). L’explosion démographique s’est ralentie depuis 1980 passant de +10% annuel à +5%). L’explosion est aussi spatiale puisque la surface moyenne par habitant (et donc le revenu moyen) est restée relativement constante avec une valeur d’environ 90-100 m²/habitant.
Entre 1960 et 75, période de l’indépendance, le pays et la ville d’Abidjan ont connu un développement économique important, rendu possible par le contexte international (les 30 glorieuses), le personnage Houphouët Boigny et les investissements publics français importants (infrastructures, aménagement de grandes zones industrielles …). La ville est la vitrine de la colonisation française en Afrique. Le projet urbain répond à un modèle « moderniste » et avec un appui fort de techniciens et d’outils opérationnels français (grands ensembles, SEM, 1% patronal …).
En 1973, la hausse du prix du pétrole et la baisse de l’aide financière française frappent le pays qui connaît alors une orientation vers un capitalisme d’Etat qui engendrera le surendettement du pays. En 1994 la baisse du franc CFA permettra une certaine relance économique, mais le coup d’Etat de 99 et le conflit armé qui a suivi aggravent la situation. En 2000 le PNB par habitant revient au niveau de 1960 ! L’exemple de la Côte d’Ivoire et d’Abidjan est particulièrement intéressant, dans la mesure où il offre une image presque caricaturale de l’évolution de l’Afrique postcoloniale et contemporaine.
La production de logements « moderne » se ralentit fortement dès les années 70 dans un contexte d’afflux de population important. C’est l’urbanisation spontanée qui assure l’accueil des migrants et répond aux besoins de logements locatifs notamment. Le lotissement « illégal » (pas de titre administratif mais un bornage des parcelles) est le fruit d’une appropriation progressive des procédures d’urbanisme par les chefs coutumiers. Il est critiquable, mais a une véritable utilité sociale. L’acceptation d’une occupation par le chef coutumier permet en effet un développement et une « vie » urbaine pacifiés. Les bailleurs de fonds internationaux n’ont jusqu’à présent pas assez pris la mesure et tiré les enseignements de ces phénomènes.
La question de la formation des professionnels de l’aménagement et de l’urbanisme en Afrique – Michel Gérard (Consultant)
Dans les années 60, le SMUH travaille à compléter les formations en architecture et urbanisme de dimensions spécifiquement africaines, a créer des formations en tant que telles et à développer la formation professionnelle de géomètres ou secrétaires préfectoraux africains.
Aujourd’hui le constat est dur. Seul reste l’EMAU (Ecole des Métiers de l’Architecture et de l’Urbanisme) de Lomé qui est extrêmement menacée. La mobilisation des bailleurs de fonds à ce sujet est nécessaire. L’ensemble des autres démarches a cessé et aucun élément n’a été capitalisé. C’est une perte sèche de connaissance et de contenu. On peut noter que le fond documentaire de « ville et développement » existe.
Pour assurer une ingénierie de qualité, les spécificités africaines doivent être prises en compte (comme le fait que le statut de salarié est très exceptionnel par exemple). De nouveaux systèmes doivent être inventés et non être calqués sur le modèle français.
Evolution des acteurs du développement et de leurs pratiques – Lucien Godin (groupe 8)
Dans les années 70 à 90, deux acteurs s’affrontent : la coopération internationale des pays et la Banque Mondiale. Cette dernière a remis en cause les pratiques de la première (modes de faire comptables notamment). Elle a favorisé la multiplication des projets répondant à des injonctions diverses (environnementales, humanitaires, économiques …) au dépend d’une ligne directrice claire.
D’autre part, on s’oriente vers un mode de faire plus contractualisé où l’instruction des projets est assurée par des acteurs locaux (Agetip, « Contrats de Ville »). La question centrale reste de savoir quels sont les meilleurs outils pour apporter de l’aide aux pays pauvres dans un contexte de renouvellement des acteurs (les chinois remplacent progressivement sur certains secteurs les concessionnaires ou bailleurs traditionnels et deviennent des interlocuteurs majeurs au dépend des acteurs de la coopération notamment français
L’économie urbaine informelle et ses perspectives – Philippe Hugon (professeur – Paris X)
L’explosion urbaine de l’Afrique est uniquement basée sur le développement démographique (Certains pays n’ont pas entamé leur transition démographique). Elle se produit dans un contexte de stagnation des richesses, contrairement à l’europe du XIXème. « L’urbanisation n’est pas fille de l’industrialisation en Afrique ».
C’est sur ce dynamisme démographique et sur l’importance de l’économie de rente que se développe l’économie informelle. Cette économie informelle tout en étant située à la limite de l’illégalité avec un lien direct au marché non régulé, est néanmoins porteuse de régulation. Elle est également très concurrentielle et porteuse d’innovation. Ces activités échappent à toute financiarisation (9/10ème de l’activité se fait hors système bancaire). Cette flexibilité nécessaire est possible car elle s’appuie sur une structure sociale très forte.
Ces activités pallient souvent l’absence de service public dans tous les domaines (transports, finance, recyclage, déchets, construction, santé…). Elles se substituent aussi fortement à la sphère domestique (transport, lavage, repas chauds …). Elles constituent l’essentiel de la valeur ajoutée et des créations d’emplois.
Cette économie basée sur une multitude de micro-activités dans un environnement précaire ne favorise ni les gains de productivité, ni l’émergence de PME plus importantes nécessaires au développement. La question de l’accès aux crédits reste central
Débat :
L’absence de ressources financières des collectivités locales africaines est criante. Le marché foncier informel engendre lui des plus-values. Comment capter une part de cette richesse locale pour financer les équipements urbains nécessaires ? Quelle fiscalité locale peut être envisagée, à partir de quel système de gouvernance urbaine ?
Les défis pour les villes de l’Afrique subsaharienne dans la mondialisation – Pierre-Noel Giraud (professeur à Mines Paris tech)
Les villes africaines, et plus largement les nouveaux Etats issus de la période post-coloniale partent, lors des Indépendances, avec des handicaps majeurs. Le découpage arbitraire des frontières nationales (réalisé par les ex-colons) produit par exemple beaucoup trop d’Etats (trop petits pour disposer d’une masse critique permettant le développement dans un contexte de concurrence internationale). Certains d’entres-eux se trouvent complètement enclavés, loin des voies maritimes, vecteurs principaux des échanges économiques.
Par ailleurs, l’essentiel du développement économique repose sur l’exploitation des matières premières. Ce type d’économie soumis aux fluctuations des cours internationaux est facteur d’instabilité. Il place les pays africains qui en disposent en situation de rente économique, facteur notamment de corruption, de frein à l’industrialisation et plus largement de développement économique local. On a pu parler de « malédiction des matières 1ères ». Les villes elles, sont davantage porteuses de développement à la condition que les services urbains de base soient assurés (eau potable, déchets, déplacements …).
Le postulat avancé est que le développement économique de l’Afrique ne peut être endogène. Il ne peut s’appuyer que sur l’accroissement des échanges et l’industrialisation. En effet, on peut observer que le développement des pays pauvres a toujours jusqu’ici reposé sur les délocalisations industrielles pour l’exportation, développement assuré par des investissements étrangers. On peut supposer que les grands pays émergents (Chine, Inde, Brésil notamment) auront à moyen terme atteint un stade de développement qui les amènera à leur tour à délocaliser. Ces pays se tourneront certainement vers l’Afrique. L’enjeu actuel est-il d’assurer dès aujourd’hui les conditions d’accueil à ces investissements en matière de services urbains élémentaires, d’économie locale articulant mieux ville et campagne, de gouvernance permettant l’émergence d’une société civile face aux Etats rentiers ? Les perspectives de développement portées par un développement économique local doivent-elles être abandonnées ?
Table ronde – Débat / points forts
L’équation de base du développement est une chaine de causalités : services urbains élémentaires / investissements publics / production de richesses taxables / développement des gains de productivité.
Les économies de rente ont à la fois peu de lien avec les territoires, et peu d’intérêt au développement.Paradoxalement elles peuvent être favorisées par l’aide au développement.
En Afrique, la fiscalité est culturellement associée à la colonisation.Les impôts directs ont été symboliquement supprimés lors des indépendances. Une réforme fiscale aujourd’hui serait extrêmement impopulaire et politiquement difficile. Néanmoins la taxation des plus-values foncière reste une piste à développer.
L’essor du numérique (internet et surtout le téléphone portable), le dynamisme de l’industrie culturelle et de la création artistique sont une réalité en Afrique. Cela constitue des pistes pour le développement trop peu explorées jusqu’à présent.
L’intégration de l’Afrique à la mondialisation se joue fortement sur le réseau supérieur des villes.
Les nouveaux Etats indépendants n’avaient pas favorisé l’essor d’un pouvoir local. Aujourd’hui avec les processus de décentralisation, les décideurs et les réseaux d’acteurs évoluent et rendent obsolète les systèmes traditionnels de l’aide au développement. La notion d’Afrique francophone, les coopérations nationales basées sur les relations entre Etats par exemple demandent à être réinterrogées. Ainsi la question du rôle des collectivités locales (du nord et du sud), des stratégies partagées développées dans le cadre de la coopération décentralisée apparaît comme un des enjeux majeurs du renouveau de l’aide au développement.