Bulletin n°117

Un partenariat académique Nord/Sud et Sud/Sud

If you have to decide what has to be done in the slums, it is not a question of what slum dwellers need. You have to find what they could do if they have the freedom to do it. Cette réflexion du prix Nobel Amartya Sen a servi de point de départ à l’Université de Montréal, ONU-Habitat et quatre universités africaines1 pour construire un programme collaboratif. Un de ses artisans, Michel Max Raynaud, professeur à l’Université de Montréal, nous en dresse les objectifs et les concrétisations.

De gauche à droite - Devant : Dominique Couret, Lassane Yameogo, Jerome Aloko - Derrière : Lucien Kaboré, Denis Tchuente, Djibril Diop, Agnes Gnamon Adiko, Alioune Badiane, Michel Max Raynaud, Benoit Mougoué, Ousmane Dembele, Thomas Tatietse, Aly Sada Timera, Remy Sietchiping.
De gauche à droite - Devant : Dominique Couret, Lassane Yameogo, Jerome Aloko - Derrière : Lucien Kaboré, Denis Tchuente, Djibril Diop, Agnes Gnamon Adiko, Alioune Badiane, Michel Max Raynaud, Benoit Mougoué, Ousmane Dembele, Thomas Tatietse, Aly Sada Timera, Remy Sietchiping. 2015 © RESAUD

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Quel est le futur des villes africaines ? L’art de la prophétie est extrêmement difficile, surtout en ce qui concerne l’avenir, nous rappelle Mark Twain. Très honnêtement, nous l’ignorons ; juste un peu de perception anticipatrice à très court terme, rien de plus. Mais ce que nous savons tous, c’est que le développement des villes est entre les mains des Africains eux-mêmes. Pour réussir, ils ont besoin d’une formation aux outils d’analyse, de gestion et de gouvernance ; bref, une formation de culture technique en complément d’un savoir culturel contextuel qu’ils possèdent, pour pouvoir répondre aux défis d’un futur imprévisible. Les sociétés ont beaucoup parié sur les vertus du développement offert par les pays du Nord. Un pari qui a depuis longtemps largement montré ses limites.

Dans un article paru en 20122, Lavagnon Ika s’est interrogé sur les raisons de la faillite des projets de développement en Afrique et sur comment y remédier. Il a identifié les principaux problèmes structuraux, institutionnels et managériaux et les pièges pour les résoudre :

  1. le piège du projet-à-tout-faire (one-size-fits-all),
  2. le piège de la responsabilité des résultats (accountability-for-results trap),
  3. le piège du manque de capacité managériale et
  4. le piège culturel (cultural trap). Comme piste de solution pour surmonter ces problèmes, le professeur Ika invitait les acteurs du développement du Nord et du Sud à décupler les programmes de recherche.

La recherche, devenue de plus en plus complexe, impose que l’échange de connaissances et le partage d’expertises soient totaux. Mais la question délicate est de définir un mode de fonctionnement qui permette un partenariat Nord/Sud équilibré. Il s’agit de permette aux partenaires africains de surmonter les problèmes tout en évitant les pièges. Si la culture et l’intelligence contextuelle sont propres à chaque pays, il est tout à fait possible de mieux partager la culture technique des outils de l’aménagement.

De la recherche universitaire au terrain
Le réseau d’échanges stratégiques pour une Afrique urbaine et durable (RESAUD) a été créé en 2012. Avec la signature d’un mémorandum d’entente entre l’Université de Montréal et ONU-Habitat dans ce cadre, l’objectif était, et reste, de travailler entre toutes les universités partenaires, de partager les ressources pour former et accompagner les chercheurs africains afin qu’ils interviennent dans leurs villes, auprès de leurs élus et des citoyens. C’est le grand projet initié conjointement avec Alioune Badiane (2020 †), alors directeur des programmes à ONU-Habitat. Ce projet s’appuie sur le renforcement de l’expertise des chercheurs africains sur leur territoire. Ce sont eux seuls qui savent décrypter les réalités de l’espace urbain africain, comprendre quelles peuvent être les solutions pratiques, efficaces et durables et agir en conséquence. À l’Université de Montréal et ONU-Habitat d’apporter les moyens scientifiques et techniques nécessaires.

Dans cet esprit, RESAUD propose plusieurs axes de recherche liés aux Objectifs du développement durable :

  • la sécurisation foncière pour une gestion équitable des villes ;
  • la sécurité publique, particulièrement celle des femmes et des enfants, pour des villes vivables ;
  • l’accès pour tous aux services essentiels pour des villes viables.

Une offre de formations ciblées, s’appuyant sur des programmes déjà en place à la Faculté de l’aménagement (urbanisme, montage et gestion de projets d’aménagement), à l’École de criminologie et à l’École polytechnique est mobilisée. Elle comprend les enseignements suivants :

  • urbanisme, montage et gestion de projets urbains, sécurité publique, gestion des risques ;
  • modules adaptés à l’urgence des problèmes à résoudre en matière d’habitat décent ;
  • outils spécifiques : de négociation, de collaboration, d’analyses-diagnostics du potentiel de résilience des systèmes urbains, de réseaux intégrés de sécurité publique ;
  • conduire d’évaluation d’impact pour tester et améliorer l’efficacité des politiques et des programmes visant à réduire la pauvreté urbaine.
Groupe des étudiants enquêteurs du projet CRDI en compagnie de : Souleymane Dia, Aly Sada Timera, Michel Max Raynaud, Maurice Cusson, Clément Demers, Fama Laye Han, Ibrahima Ndiaye, Ibrahima Hann.

Groupe des étudiants enquêteurs du projet CRDI en compagnie de : Souleymane Dia, Aly Sada Timera, Michel Max Raynaud, Maurice Cusson, Clément Demers, Fama Laye Han, Ibrahima Ndiaye, Ibrahima Hann. © RESAUD

S’adapter au contexte local
Les travaux issus de ces partenariats permettent aux chercheurs des universités africaines de développer leurs propres outils, élaborés à partir des travaux des chercheurs de l’Université de Montréal en les adaptant aux contextes régionaux, aux cultures urbaines et aux politiques locales.

Ainsi, les travaux sur L’interdépendance des systèmes essentiels : de la protection à la résilience, développés par le Centre risques & performance de Benoît Robert à l’École polytechnique de Montréal, ont été adaptés au contexte camerounais et mis en oeuvre in situ à Yaoundé par Denis Tchuenté. Les travaux de la Faculté de l’aménagement sur la gestion des parties prenantes et les « tables de concertation » montréalaises ont été repris et appliqués par l’équipe de RESAUD Sénégal, dirigée par Aly Sada Timéra. Ils sont utilisés pour travailler dans les communes défavorisées de Dakar. Ces tables d’initiative citoyenne, opérantes aujourd’hui, permettent, avec le concours des élus, des citoyens et des jeunes, de mettre en place des programmes pour former les jeunes à la construction de lampadaires urbains solaires (avec l’appui d’experts d’ONU-Habitat) et à la construction d’aménagements d’espaces publics sécurisés.
La thèse de doctorat de Francis Joël Tchenkeu, à l’Université de Montréal, dirigée conjointement par Benoît Mougoué de l’Université Yaoundé 1 et Michel Max Raynaud, veut apporter une contribution scientifique sur les mécanismes adaptés pour une gouvernance inclusive dans les villes du Cameroun. Les compétences en gestion urbaine de l’Université de Montréal ont également été mises à profit par le gouvernement guinéen. RESAUD a été invité à dispenser des formations aux membres de l’administration de Guinée Conakry.

Espaces publics et sécurité
Les travaux sur la criminalité de l’École de criminologie, en plus d’un ouvrage, Mille homicides en Afrique de l’Ouest, codirigé par le doyen Henry Boah Yebouet et Nabi Youla Doumbia de l’Université Félix-Houphouët-Boigny et Maurice Cusson de l’École de criminologie de l’Université de Montréal ont été mobilisés. Cette expertise en criminologie et en sécurité publique a également permis de coordonner d’importantes recherches africaines sur la victimisation des femmes et des jeunes dans 12 pays du continent africain. Ces travaux universitaires ont encore nourri des chercheurs sénégalais dans leurs enquêtes de victimisations et l’élaboration de plaidoyers auprès des élus et des populations. Enfin, depuis peu, RESAUD intervient en appui comme expert et comme formateur en montage de projet et gestion des risques pour le nouveau Centre d’excellence de l’habitat (CEH) mis en place à Ouagadougou3.

Refuser le développement comme assistance, envisager la formation comme un atout.

 

1- Les universités à l’origine du programme : Université de Ouagadougou (Burkina Faso), Université de Yaoundé 1 et École polytechnique de Yaoundé (Cameroun), Université Félix-Houphouët-Boigny (Côte d’Ivoire) et École supérieure d’économie appliquée (ESEA) de l’Université Cheikh-Anta-Diop (Sénégal).

2- Ika, L. A. (2012). Project Management for Development in Africa : Why Projects Are Failing and What Can Be Done About it. Project Management Journal, 43(4), 27-41.

3- Placé sous la codirection de l’Institut supérieur des sciences de la population (ISSP), de l’Université Joseph Ki-Zerbo, de l’École supérieure d’économie appliquée (ESEA), de l’Université Cheikh Anta Diop et d’ONU-Habitat.