2003 Métiers et carrières de la coopération urbaine – article In Diagonal, Novembre-décembre 2003, n°163.

Document préparé par Caroline Martin, sous la direction de Antoine Olavarrieta, Françoise Reynaud et François Vergès, AdP c/o ISTED – Villes en développement.


In Diagonal

Agnès Dollfus, Novembre-décembre 2003, n°163.

Au cours d’une journée d’études organisée par leur association, les professionnels œuvrant pour la coopération urbaine dans les pays en développement se sont interrogés sur l’état et l’évolution de cette forme de coopération : riche et prospère dans les années soixante, elle est aujourd’hui fragile et vulnérable, alors que les besoins n’ont pas diminué et que les forces vives existent et sont prêtes à y participer. Compte rendu.
Si dans les années soixante, il était aisé pour un jeune urbaniste de débuter sa carrière en Afrique dans le cadre de la coopération, d’être accueilli comme assistant technique pour mener des opérations d’aménagement urbain, les choses ont bien changé aujourd’hui. Tel est le leitmotiv teinté de mélancolie qui a scandé les propos des intervenants de la journée d’étude organisée récemment par l’Association de professionnels développement urbain et coopération (ADP). Pourtant les enjeux d’une telle coopération demeurent tant la croissance urbaine reste soutenue dans les pays en développement (PED) et tant les besoins en aménagement du territoire, en infrastructures, en transports, en encadrement se sont diversifiés, que ce soit en Afrique du sud, dans certains pays de la Méditerranée, du Moyen-Orient, d’Amérique latine, d’Asie du sud, voire d’Europe centrale. D’autre part, ce fut souligné également, « les professionnels nationaux sont loin d’y être assez nombreux et d’avoir le capital d’expérience, si ce n’est de formation, permettant de se passer de partenaires de pays développés ». Dès lors, comment expliquer le déclin d’influence possible des professionnels français du développement urbain en PED, comment lutter contre le décalage entre l’offre de service et l’offre d’emploi et de quelle manière réduire ce hiatus aujourd’hui ?
Un regard rétrospectif sur l’histoire de la coopération offre quelques premiers éléments de réponse. Au lendemain de l’indépendance de ces pays, et pendant plus de vingt ans, les financements émanant de l’aide internationale ont permis à nombre d’acteurs de l’aménagement de rester sur place. Ceux-ci ont donc pu continuer à encadrer les jeunes professionnels venus les rejoindre et à participer à la formation de professionnels locaux. Ces jeunes diplômés devenaient ainsi héritiers d’une « longue tradition d’urbanisme colonial, plus attachée à la forme urbaine et à l’organisation spatiale qu’au développement économique et social », rappelait l’urbaniste Michel Arnaud dans son brillant exposé d’ouverture.
Les choses déclinent au cours des années quatre-vingt en raison, notamment, de l’autonomisation des professionnels locaux et de l’influence croissante de la Banque mondiale. En 1996, le Sommet mondial des villes organisé dans le cadre de la seconde conférence des Nations unies à Istanbul (Habitat II) et son programme d’action mondiale pour l’habitat, marquent l’irruption des agglomérations dans le champ de la coopération, insufflent un nouvel élan dans ce secteur et en élargissent l’horizon. « Virage institutionnel plutôt que changement d’attitude à l’égard du développement urbain », déplore Michel Arnaud puisque l’Agenda qui fixe le calendrier des programmes d’action d’Habitat II ne considère toujours pas la priorité de la question de l’extension urbaine. La majorité des projets d’aide internationale est, en effet, consacrée à la pauvreté urbaine, vaste domaine qui couvre certes des préoccupations de réhabilitation et de restructuration urbaines mais aussi la création d’emplois, l’accès aux services urbains, la santé…, autant de luttes contre l’exclusion sociale qui ne nécessitent pas systématiquement de traitements communs. Or la population urbaine des PED est appelée à doubler d’ici à 2025 (1), une croissance qui se poursuivra, si l’on en juge par l’exemple brésilien, par la poursuite de nouvelles installations illégales et précaires : « en 1950, 15 % de la population de Rio vivait dans les favelas, la proportion est la même aujourd’hui, sauf que de 1,3 million d’habitants, elle est passée à 10 millions et celle des favelas de 200 000 à 1,5 million… ». Pour Michel Arnaud, le « modeste mais réaliste » métier d’aménageur urbain a cédé la place à celui de développeur urbain, terme sans doute plus ambitieux mais ambigu puisqu’il peut aller « jusqu’au refus de produire la ville au rythme de sa croissance démographique ».
Pourtant les forces vives existent : il n’est que de regarder le nombre élevé de postulants aux emplois (trop rares…) proposés par la Banque mondiale ou le ministère des affaires étrangères (2), leur intérêt pour les formations universitaires et la recherche urbaine axées sur l’aide au développement, ou encore de compter le nombre de vocations déclarées pour intégrer une organisation non gouvernementale (ONG) (2). Telle est la voie choisie par Serge Allou, chargé de mission au groupe de recherche et d’échanges technologiques (GRET). Les 2/3 du budget de cet organisme non gouvernemental concernent la mise en œuvre de projets dans les pays du Sud (3). Si Serge Allou se montre passionné pour son travail, il n’a guère ménagé l’auditoire lorsqu’il a expliqué la complexité du montage des cofinancements. Le secteur urbain ne figurant pas dans les lignes budgétaires de l’Union européenne, lorsqu’une ONG cherche à obtenir des fonds européens, « le montage des financements multilatéraux prend un temps considérable et fait courir des risques importants aux associations », expliqua-t-il. Les ONG se trouvent, en effet, redevables vis-à-vis de chacun des bailleurs de fonds pour la partie qui le concerne. D’autre part, « les prestations techniques, autrement dit la base arrière du projet, doivent, sauf obtention exceptionnelle d’un budget spécifique, être incluses dans le montant forfaitaire des frais de fonctionnement, ce qui rend parfois impossible la réalisation du projet ». Les supports techniques disparaissent ainsi peu à peu, les éléments d’ordre social et institutionnel ayant pris le pas dans la conduite des opérations : « Nous ne sommes plus des techniciens de réseaux d’assainissement ou de mise en œuvre de matériaux locaux pour construire, comme c’était le cas dans les années 80… ». Cependant, outre leurs interventions dans le cadre de mise en œuvre de projets, les ONG conduisent aussi des missions d’évaluation et d’études. Et Serge Allou de souligner ici l’importance de ces missions pour poser les bases d’un diagnostic, établir dialogue et concertation avec les habitants autochtones et maintenir, voire créer, le lien avec les donneurs d’ordre. Une compétence à valoriser et que l’on souhaiterait transmettre à un débutant dans le métier. Mais avec quels moyens l’encadrer ? Et au candidat sans expérience on préfère le chef de projet (10 ans requis dans les offres de poste)… Le cercle n’est que trop connu des jeunes diplômés.
La recherche urbaine, pour sa part, continue d’attirer des professionnels. Pourtant, là encore, le constat dressé par Alain Durand-Lasserve, chercheur au CNRS, n’est guère optimiste. Délitement du dispositif global de recherche sur les villes du Sud, absence de stratégie nationale, désengagement des institutions, dispersion des effectifs de chercheurs, complexité des montages administratifs pour rapprocher écoles doctorales, universités ou instituts français d’urbanisme, marginalisation de cette discipline dans l’enseignement (4)… Une exception cependant : le DESS Ingénierie des services urbains en réseaux dans les pays de développement, enseigné à l’Institut des sciences politiques de Rennes.
Faut-il en conclure que les métiers du développement urbain en coopération dans les pays en développement sont voués à disparaître ? Ce serait outrepasser la pensée des intervenants et ne pas tenir compte des aspects positifs de leurs bilans. « Des réseaux thématiques de recherche, souvent internationaux, émergent de plus en plus fréquemment, notait Alain Durand-Lasserve, et certaines initiatives communes fonctionnent, par exemple entre le ministère de la recherche et l’École des ponts, Paris XII, le CNRS ou le GISTI (Groupement d’intérêt scientifique, de développement et d’insertion internationale). » De son côté, l’urbaniste anglais Geoffroy Payne, attirait l’attention sur l’ouverture de la Grande-Bretagne à des partenariats avec l’Allemagne, l’Italie, la France pour mener des projets dans les PED. Jean-Louis Perrault, en présentant avec fougue le DESS de Rennes, a souligné l’enthousiasme d’étudiants prêts à partager leurs compétences avec leurs homologues de pays défavorisés. Il faut donc garder confiance et même si le chemin est long, pour reprendre les termes de Michel Arnaud, conserver la conviction qu’il est possible d’agir : « C’est l’occasion aujourd’hui, dit-il, tandis que l’aide extérieure baisse, de prendre nos distances par rapport à une coopération de l’offre et d’œuvrer en faveur d’une coopération de la demande. Le marché intermédiaire de la première reste trop souvent une projection sur les sociétés des pays du Sud des préoccupations de celles des pays du Nord, aboutissant à la fabrication d’habits tout faits qui ne vont à personne. Il est temps de bâtir une coopération qui réponde à une demande réelle, spécifique, de considérer le développement urbain comme un phénomène global de société et non pas seulement technique. Une telle coopération donne toute son importance au diagnostic fait en commun, sans préjuger de son issue, puis à l’élaboration de réponses aux problèmes tels qu’ils sont posés ». Cette coopération impose de faire confiance aux ONG, vecteur porteur dans le champ urbain, qui répond aussi à l’appel d’Habitat II de développer et soutenir un marché de conseils et d’études pour aider les collectivités urbaines en PED à affronter leurs propres problèmes, de préserver sinon créer diverses formes de tutorat senior/junior. Ce dernier facteur permet à la fois de valoriser l’expérience acquise et d’offrir un cadre non négligeable de carrière.
Le ministère de l’équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, pour sa part, n’a pas de responsabilité directe en matière d’aide au développement (APD). Il y accorde cependant un intérêt soutenu, comme en témoigne la publication du dernier Cahier du Conseil général des ponts et chaussées et de la direction des affaires économiques et sociales (DAEI). Il faut aussi mobiliser en France, un milieu représentatif de l’intérêt porté aux pays en développement, un milieu qui réunisse des chercheurs, des professionnels, des acteurs économiques ainsi que ce fut le cas récemment encore, à l’occasion de deux colloques (5). « La coopération restructurée autour de la coopération décentralisée est sans doute appelée à devenir multiforme, en France, et par là plus complexe, ajoute Michel Arnaud. L’important, c’est de la recentrer autour d’un problème simple, celui de l’urbanisation de la partie du monde encore peu urbanisée. Les villes continueront de croître et l’objet de la coopération urbaine, l’exercice de nos métiers, c’est d’abord de faire de notre mieux pour que l’urbanisation se passe le moins mal possible. Même modeste, l’aide bilatérale française est capable de financer une coopération technique qui s’intéresse aux métiers et aux compétences. »

(1) Les villes en PED devraient accueillir 1,5 milliard d’habitants, soit presque deux fois plus en 25 ans que le milliard qui a été accueilli au cours des 50 dernières années.
(2) Les principaux programmes de soutien « Jeunes experts » sont proposés par le ministère des affaires étrangères (www.france.diplomatie.fr) et par la Banque mondiale (www.banquemondiale.org). Le rapport entre l’offre et la demande est de l’ordre de 15 postes pour 15 000 candidats. Les postes offerts par les ONG, moins élitistes, restent aussi peu fréquents et très demandés.
(3) GRET (Groupe de recherche et d’échanges technologiques) association loi 1901 de solidarité internationale qui met en œuvre sur le terrain, dans les pays du Sud, des projets dans des secteurs très diversifiés, dont le secteur urbain, 211-213 rue La Fayette, 75010 Paris. http://www.gret.org
(4) À titre d’exemple, les études sur le Maghreb, qui ont joué un rôle important dans les années 80-90, sont minoritaires aujourd’hui à l’université Paris XII ; l’option Villes en développement ne constitue qu’une des cinq options du DESS Urbanisme et aménagement de l’Institut français d’urbanisme (IFU).
(5) Deux colloques se sont tenus en octobre 2003 : les 5e Assises des acteurs de la coopération franco-vietnamienne, à l’instigation de la ville de Toulouse et du conseil régional Midi-Pyrénées. La coopération décentralisée : mode d’emploi, journée organisée sous l’impulsion de la Délégation du sénat à la coopération décentralisée.