2003 Métiers et carrières de la coopération urbaine – L’expérience et les orientations stratégiques de l’Agence Française de Développement dans le champ du développement urbain

Document préparé par Caroline Martin, sous la direction de Antoine Olavarrieta, Françoise Reynaud et François Vergès, AdP c/o ISTED – Villes en développement.


L’expérience et les orientations stratégiques de l’Agence Française de Développement dans le champ du développement urbain.

Serge Michailof, Directeur des Opérations Etats Etrangers, Agence Française de Développement.

Le paysage institutionnel de la coopération française a beaucoup évolué, l’AFD elle même a beaucoup changé et un bref rappel historique n’est peut-être pas inutile. Au lendemain des indépendances africaines dans les années 60, il était en effet assez facile pour de jeunes ingénieurs français de faire carrière dans le domaine de la coopération urbaine. Il y avait à l’époque beaucoup de ressources destinées à l’Afrique, il y avait de nombreux bureaux d’études financés par la coopération française au sens large, il y avait d’importants effectifs de coopérants et il y avait bien sûr la Caisse Centrale de Coopération Economique de l’époque et le Ministère de la Coopération.
Nous nous retrouvons 40 ans plus tard dans un contexte institutionnel largement modifié où le nombre de coopérants a, ce qui est bien normal, été réduit de manière drastique, où les ressources que peuvent mobiliser les bureaux d’études sur les fonds d’aide française se sont tarie, où les volumes financiers de la coopération française en Afrique se sont considérablement réduits. L’aide de l’Agence Française de Développement est en outre maintenant déliée ce qui met les bureaux d’études français en concurrence avec les bureaux internationaux sans oublier les bureaux locaux et les bureaux de certains pays du Sud (je pense à la Tunisie) qui ont une bonne capacité technique et une forte compétitivité prix. Enfin, les maîtrises d’ouvrages locales sont devenues exigeantes et leurs demandes portent quasi exclusivement sur du personnel très senior, ce qui complique singulièrement la vie des bureaux français qui sont naturellement désireux de former leurs juniors et d’assurer une relève de génération au sein de leurs experts. Dans ce contexte, les perspectives d’activité pour nos jeunes experts dans le domaine urbain sont plus difficiles.
Mais laissez-moi donc vous dire en quelques mots comment fonctionne l’AFD au plan opérationnel.
L’AFD est tout d’abord une petite structure en terme de personnel (environ 800 personnes) dont une centaine d’expatriés installés dans les pays étrangers où nous travaillons. Le bilan global est de 16 milliards d’euros, le volume des concours financiers que nous octroyons chaque année est de l’ordre de 1,6 milliard d’euros sur lequel en gros 600 millions d’euros vont vers les DOM-TOM et 1 milliard d’euros sur les pays étrangers.
Au cours des quinze dernières années, l’AFD a connu de grands changements dans son mode de fonctionnement. C’est certes une agence de développement mais c’est d’abord et avant tout un établissement financier, une banque de développement dont la vocation est de prêter de l’argent. Son activité était historiquement centrée sur l’Afrique Subsaharienne or les difficultés macro-économiques de ces pays et les remises de dettes successives dont ils ont bénéficié font que l’AFD progressivement se retrouvait dans l’impossibilité de poursuivre son activité de prêteur dans cette région. Les Etats en quasi faillite ne peuvent plus emprunter, seules quelques grandes entreprises publiques à gestion de type privée et le secteur privé bien sûr qui emprunte à Proparco restent une clientèle possible pour notre activité de prêt. Dans ce contexte, l’AFD en Afrique Subsaharienne est une institution qui de plus en plus gère une ligne de subventions mise à sa disposition par le M.A.E. et en gros, dans le secteur urbain en Afrique Subsaharienne, nous gérons des subventions et si nous consentons encore des prêts ceux ci sont essentiellement non-souverains et s’adressent à des entreprises de service public marchand : sociétés d’eau, d’électricité, sociétés de transports, etc …
En revanche, hors de l’Afrique Subsaharienne, nous avons fortement développé notre activité de prêteur souverain dans les économies émergentes en particulier au Maghreb, en Afrique du Sud et au Vietnam. Nous étendons aujourd’hui cette même activité en particulier, pour couvrir l’ensemble des pays de la rive Sud de Méditerranée orientale et certains pays émergents d’Asie du Sud-Est (Thaïlande, Chine, etc …).
Les ressources en terme de subventions sont contraintes par les impératifs du budget français et la ligne de don que nous gérons pour le compte du M.A.E. est stable depuis plusieurs années aux alentours de 170 millions d’euros. Dans ces conditions, nous avons dû procéder à un recentrage géographique dans l’allocation de ces subventions vers les pays d’Afrique francophone Subsaharienne, ainsi que les Territoires Autonomes Palestiniens, le Laos et le Cambodge où nous avons d’ailleurs une activité très intéressante dans les domaines urbains.
Au plan stratégique, alors que nous recentrons géographiquement pour l’usage des subventions, bien au contraire nous cherchons à diversifier nos emprunteurs pour notre activité de prêts avec le double souci de mieux répartir nos risques et de contribuer à la présence française dans les pays émergents à fort potentiel économique. Dans ces conditions, l’AFD est l’une des rares institutions d’aide au développement au monde qui dispose de l’intégralité des outils d’intervention allant du prêt aux conditions de marché à la subvention, de la participation en fonds propres aux garanties. Pour concevoir et mettre en œuvre ce repositionnement stratégique, l’AFD a préparé à partir de 2001 un plan d’orientation stratégique qui a été discuté et validé par nos Tutelles (le Ministère des Affaires Etrangères, le Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, le Ministère des DOM-TOM).
La mise en œuvre de ce P.O.S. a impliqué une réorganisation des services opérationnels avec la création de quatre grandes directions géographiques et de quatre départements techniques ; l’un de ces département techniques, dirigé par Alain Henry, couvre les problématiques de financement des infrastructures et de l’urbain qui représentent pratiquement la moitié de nos activités dans les Etats Etrangers. La division chargée plus particulièrement du Développement Urbain est dirigée par Thierry Paulais que je pense tout le monde connaît dans cette Assemblée. Chaque département technique et c’est particulièrement le cas du Département Infrastructures et Urbain, a préparé ce que nous appelons « un cadre d’intervention sectoriel » c’est-à-dire une définition claire et assez précise de nos objectifs sectoriels et du type d’opérations que nous souhaitons financer dans chaque grande géographie. Ce document est disponible, j’en ai apporté un certain nombre avec moi ; dans le secteur urbain, nous intervenons dans ce contexte dans cinq grands domaines :
  • le premier axe d’intervention porte sur la gestion urbaine, l’appui aux collectivités locales et la décentralisation ;
  • le deuxième porte sur la lutte contre la pauvreté et les problématiques d’habitat précaire ;
  • le troisième porte sur les problèmes d’attractivité et productivité de la ville ;
  • le quatrième porte sur toutes les problématiques de service public marchand ;
  • et le cinquième concerne la mise en valeur du patrimoine culturel.
Laissez-moi vous développer brièvement ces cinq orientations :
  • La gestion urbaine englobe les opérations d’appui à la gestion financière, comptable, technique, à l’organisation foncière, aux problèmes réglementaires, aux problèmes de planification urbaine. Notre souci en ce domaine est, pour chacune des opérations que nous finançons, de nous rapprocher des collectivités locales françaises qui peuvent nous apporter une précieuse expertise technique. Nous avons de multiples projets-programmes en ce domaine qui portent sur du renforcement institutionnel, du financement des collectivités locales, des actions de développement municipal ; certains de ces programmes tels ceux que nous conduisons en Tunisie ou en Afrique du Sud sont devenus des exemples de « best practice ».
  • Le deuxième axe que j’évoquais qui porte sur les programmes d’interventions dans les quartiers précaires avec des actions de lutte directe contre la pauvreté sont des projets qui m’ont toujours passionné mais sur lesquels j’ai parfois du mal à entraîner mes équipes. Cela conduit en effet en général à des projets complexes difficiles sur lesquels nous avons d’ailleurs grand besoin des O.N.G. et des bureaux d’études français. Nous connaissons en ce domaine la complexité des milieux sociaux, la nécessité et la difficulté de sécuriser le foncier. C’est comme vous le savez un travail de dentelle qui coûte cher avec des résultats parfois incertains et pas toujours reproductibles.
  • Le troisième axe sur la productivité et attractivité de la ville conduit en général les approches soit sectorielles soit globales portant sur des réhabilitations de voiries, de réseaux, l’amélioration des conditions de circulation, etc. Une note à cet égard : nous ne finançons plus en direct du logement mais nous finançons beaucoup d’aménagement de terrains fonciers et de programmes de viabilisation.
  • Le quatrième axe porte sur l’appui au développement des services publics marchands : eau, électricité, assainissement, marchés urbains. Les problématiques là sont très diverses mais portent largement sur l’efficacité de la gestion de ces services publics avec toutes les réformes institutionnelles que cela implique (affermage, concession, etc.). Ces problématiques de refonte institutionnelle sont complexes, je ne peux les développer ici.
  • Enfin, le dernier axe : la mise en valeur du patrimoine historique conduit là aussi à des opérations passionnantes mais complexes, coûteuses en temps et en argent pour lesquels nous recherchons des partenariats avec des collectivités urbaines françaises et parfois l’UNESCO (ce fut le cas pour l’opération sur « Luang Prabang » au Laos). L’objectif de favoriser le développement économique tout en préservant et en mettant en valeur le potentiel historique et touristique.
En conclusion, je voudrais dire quelques mots sur l’importance croissante du respect des diligences environnement sur toutes ces questions urbaines. C’est un point qui est devenu incontournable mais est fort consommateur de temps. Je voudrais aussi insister sur l’importance de la coopération décentralisée et sur le rôle des collectivités locales françaises (nous ne finançons pratiquement plus de projets urbains sans nous être assurés de la présence d’une collectivité française. Je voudrais enfin saluer le travail et le savoir faire des bureaux d’études français et des O.N.G. spécialisées dans le domaine urbain. Leur expertise est précieuse et reconnue au plan international
Je sais qu’il y a eu ce matin beaucoup de discussions et de critiques sur le manque de vision et de stratégie de la coopération française en matière urbaine ; je peux vous dire qu’au niveau de l’AFD, nous avons clairement l’ambition de contribuer à donner une cohérence à l’aide au développement dans le secteur urbain et, dans le cadre de nos moyens certes limités, de contribuer à définir une vision et une stratégie claire.
– Question à propos des VSN, non enregistrée.
Serge Michailof : En fait, le système du VSNE a disparu et c’est un vrai problème pour nous. Nous avons remplacé les VSN d’une part, par des volontaires internationaux qui viennent pour des missions courtes d’un an et nous sommes moyennement satisfaits de cette formule. Leur formation au sein de nos équipes dure en effet de 6 à 9 mois, et ils disparaissent ensuite.
Nous essayons également de recruter quelques stagiaires issus des grandes écoles.
Et enfin, nous avons un programme de « vivier » qui est un peu calqué sur le programme de la Banque Mondiale avec ses jeunes professionnels. Ce que j’ai noté, c’est que les « viviers » que nous avons recrutés ces dernières années étaient plutôt des financiers. Maintenant nous allons plutôt rechercher des ingénieurs des grandes écoles françaises.
Dans le domaine purement urbain, je ne parle pas des secteurs publics marchands, nous n’avons pas plus d’une dizaine de personnes dans notre division technique. Nous allons avoir une politique de recrutement de l’ordre de 1 à 2 personnes par an. Il y a donc une toute petite possibilité d’emploi au niveau de l’AFD.
Nous ne sommes donc pas un gros employeur, mais il faut rappeler que nous sommes une petite maison.
François Vergès : question non enregistrée.
Serge Michailof : Nous avons une politique assez systématique de co-financement. Nous avons en gros 70% de nos opérations en co-financement. Sachant que notre premier co-financier en termes de volume est la Banque Asiatique de Développement, le deuxième est la Banque Mondiale, le troisième est l’Union Européenne. Indépendamment de cela, nous essayons de gérer des opérations pour le compte d’autres bailleurs de fonds. Nous le faisons actuellement à titre réciproque avec la KFW. Nous avons un partenariat très étroit, et actuellement nous avons un mandat de gestion avec eux. Nous gérons de l’argent de la KFW et vice versa, elle gère nos fonds. La répartition des tâches se fait en fonction des compétences techniques et en fonction de l’état de notre logistique locale.
Depuis deux ans, nous discutions avec l’UE pour avoir des délégations de gestion de leurs financements. Nous avons eu de nombreuses discussions et d’énormes difficultés parce qu’il y a d’abord une résistance des services de la communauté qui voient les aides bilatérales comme des concurrents de l’aide européenne. Aussi, il y a une hostilité politique des petits pays qui n’ont pas envie de voir ce qu’ils appellent une « renationalisation » de l’aide communautaire. Dans ce contexte, les perspectives sont incertaines.
L’AFD va également mettre en œuvre les fonds du PPTE bilatéral qui correspond à la remise de dette et dont des volumes sont très variables selon les pays. Pour certains pays cela représente des montants très importants. Dans le cas du Cameroun par exemple, les montants vont être de l’ordre de plus de 100 millions d’euros par an, pour les années à venir. Si la Côte d’Ivoire arrive un jour à l’initiative PPTE, ce sera du même ordre de grandeur que le Cameroun. L’urbain et les infrastructures sont pour nous une priorité pour le Cameroun. Nous avons eu à cet égard des discussions difficiles avec certains partenaires parce que beaucoup voient la lutte contre la pauvreté comme limitée aux programmes sociaux. Pour nous, la lutte contre la pauvreté c’est d’abord les créations de richesses. Celles-ci passent par les infrastructures et par l’urbain. Nous avons veillé à ce que sur le PPTE Cameroun, il y ait un volet infrastructures urbaines très important.