2003 Métiers et carrières de la coopération urbaine – Table Ronde

Document préparé par Caroline Martin, sous la direction de Antoine Olavarrieta, Françoise Reynaud et François Vergès, AdP c/o ISTED – Villes en développement.


Les conditions d’entrée des jeunes professionnels dans la carrière.

Table ronde.

Paris, samedi 16 novembre 2002
Compte-rendu de l’atelier B : Aménagement et développement durable
Taoufik Souami, modérateur de l’atelier, a posé aux intervenants les deux questions directrices de l’ensemble des ateliers organisés dans le cadre de cette journée :
  • A votre connaissance quelle est la situation de l’emploi, et notamment celle des jeunes diplômés ?
  • Quels sont les paliers successifs d’expériences et de compétences à franchir pour construire une carrière dans l’un de ces secteurs ?
Simone Nindenberg
Simone Nindenberg, membre de l’« Entente entre Générations pour l’Emploi et l’Entreprise » (EGEE, groupe qui travaille notamment à la demande d’organisations internationales), a travaillé dans le domaine de la formation et du recrutement d’ingénieurs en génie rural. Selon elle, les activités internationales sont passionnantes et doivent toutes reposer sur un support technique moderne et extrêmement « pointu ». C’est pourquoi une expertise technique et technologique en provenance des pays du Nord technologique s’avère souvent utile. En outre, en matière de coopération internationale, pour des postes relatifs à l’évaluation, la gestion ou la coordination de projet par exemple, de solides compétences en gestion et en sociologie sont indispensables. On fait alors davantage appel à des profils généralistes.
Mme Nindenberg définit ensuite les concepts abordés lors de cet atelier.
  • L’aménagement est une notion complexe qui englobe à la fois un aspect technique et un aspect social. Plusieurs acteurs techniques interagissent dans l’élaboration des projets, depuis leurs mises en œuvre jusqu’à leurs évaluations. Afin de connaître au mieux les attentes et aspirations des populations, il convient de faire appel aux compétences techniques des experts originaires des pays dans lesquels les projets sont développés. Par ailleurs, pour une utilisation optimale des fonds disponibles, des compétences en matière de gestion sont indispensables.
  • Le développement durable est un concept plus récent –il date d’une vingtaine d’années- et plus difficile à saisir que celui de l’aménagement. Il recouvre l’idée selon laquelle les techniques mises en oeuvre sur un territoire doivent garantir la préservation de l’environnement et une utilisation parcimonieuse des ressources naturelles. La notion de développement durable demande beaucoup de réflexion et doit encore être définie. C’est une problématique difficile à mettre en œuvre, en particulier dans certains pays. Il est nécessaire de prendre en compte les milieux naturels et il faut faire attention à tous les éléments que l’on introduit dans les systèmes de production. Il faut cependant rester réaliste, le développement durable reste idéologique, voire utopique dans certains cas. Il est confronté aux objectifs de production; au point de vue des bailleurs de fonds et à la vision, souvent à plus court terme, que les populations locales ont du développement.
Pour conclure son intervention, Mme Nindenberg revient sur la question des carrières : si avec une formation généraliste, il est possible d’exercer des fonctions de coordination, de lobbying ou dans le secteur des relations publiques, les « purs généralistes » ont rarement leur place sur le terrain !
Didier de la Mettrie
Didier de la Mettrie précise que sa carrière est marquée par deux processus historiques, d’une part la décolonisation en Afrique de l’Ouest (il a participé à un projet de formation de paysans au Sénégal) et, d’autre part, la chute du mur de Berlin (il a travaillé avec les pays de l’ex-URSS et appuyé les projets TACIS).
Dans le champ du développement, différentes théories ont, tour à tour, prédominé (développement intégré, global, communautaire,….). Aujourd’hui on parle davantage du concept de « développement de communauté » et de « gouvernement de terroir ». Parmi les différentes fonctions de la coopération multilatérale, M. de la Mettrie distingue, entre autres, la prise de décision, l’élaboration, la coordination et l’évaluation de programmes et de projets ainsi que l’analyse sectorielle. Pour choisir une orientation professionnelle, il préconise de considérer toutes ces fonctions et se diriger vers celle qui nous convient. Il propose également de rendre disponible sur Internet une liste d’employeurs potentiels (ONG, bureaux d’étude européens, administrations nationales, coopération décentralisée…) et souligne la nécessite de bien connaître les différents types de contrats proposés dans ces milieux. En outre, Didier de la Mettrie a cité quelques qualités indispensables à sons sens si l’on souhaite travailler dans la coopération internationale. Ainsi, sous l’expression « habiletés horizontales », il regroupe les savoirs-être et savoirs-faire suivants : empathie vis-à-vis des autres, aucun chauvinisme, sens de la communication mais aussi connaissance des procédures des clients et de leurs conditions, capacité à rentrer dans leur logique, maîtriser le reporting, capacité de gestion de projets ainsi que le suivi des évolutions de sa spécialité. Il convient également d’adopter une méthodologie de travail précise et de connaître celle des personnes avec lesquelles on travaille. Enfin, M. de la Mettrie cite quelque-uns des « grands chantiers à venir » dans le domaine de la coopération internationale, secteurs qui peuvent constituer des pistes pour les investigations des jeunes diplômés à la recherche d’un emploi. Il s’agit plus précisément d’un très vaste chantier européen, d’études d’impacts sur les réseaux, mais aussi de projets ou programmes dans les domaines des systèmes juridiques, de la santé, de la maîtrise des grands flux migratoires, de l’environnement et du commerce équitable.
Jean Louis Vielajus
Jean-Louis Vielajus a travaillé au sein d’une organisation non gouvernementale, la CIMADE, avant d’intégrer le GRET (Groupe de recherches et d’échanges technologiques), organisme qui propose notamment des systèmes d’information technique pour tous les coopérants. Par la suite, il s’est orienté vers l’expertise et plus précisément vers l’évaluation, l’identification de programmes, la fonction de conseil, etc. Il est aujourd’hui directeur du CFSI (Comité Français pour la Solidarité Internationale) et vice-président de Coordination-Sud (collectif d’ONG françaises). Jean-Louis Viélajus se présente lui-même comme un généraliste et un « pur produit ONG ».
Le CFSI travaille grâce à une toute petite équipe et est une structure qui fédère trente-cinq organisations de statuts très différents. Il se consacre plus particulièrement aux domaines suivants: soutien à l’agriculture paysanne, lutte contre la pauvreté (par des programmes d’aide aux micro-entreprises), appui à la création de richesses, accès du plus grand nombre aux services collectifs locaux.
M. Vielajus insiste sur le fait que le métier de coopérant a changé au cours des dernières décennies. Si, dans les années 70, il s’agissait de « faire » puis de « faire faire » ou « d’apprendre à faire » durant la décennie 80, il s’agit davantage aujourd’hui de renforcer les capacités locales, c’est-à-dire de donner aux partenaires du Sud, dont l’organisation est aujourd’hui effective, les moyens de leur développement. De plus, il faut se préparer à une activité ponctuées de missions courtes ; le statut d’expatrié pour 30 ans n’est plus d’actualité ! Pour travailler dans le domaine de la coopération internationale, M. Vielajus soutient l’idée selon laquelle il faut avoir une vraie compétence technique et l’associer à de l’ingénierie institutionnelle.
M. Vielajus est également revenu sur le « paysage » des ONG françaises qui sont en nombre considérable. Il en existe beaucoup de petites, peu de grosses et aucune de la taille des grandes ONG anglo-saxonnes. Ainsi, celles qui ont assez d’argent pour créer de l’emploi sont peu nombreuses. Si l’on considère les budgets annuels de l’ensemble des ONG françaises, pour cent d’entre elles, il est supérieur à 500 000 euros, pour soixante il est supérieur à 1,5 million d’euros et il n’est supérieur à 10 millions d’euros que pour une soixantaine d’ONG. Les trente principales ONG françaises regroupent 1200 personnes en leur siège (dont 250 cadres), 600 expatriés et 1200 volontaires. Les salariés travaillant aux sièges de ces organisations exercent des fonctions dans les domaines suivants : direction, administration et finances, communication, montage de projets, recherche de financements et élaboration de dossiers de réponse aux appels d’offre. Au sein des ONG, la progression de carrière est rarement importante. M. Vielajus tient à mettre en garde contre une attitude qui consiste à entrer dans le « prêt à penser » et à se soumettre (« sans restriction ») aux exigences de la Banque mondiale. Il précise également qu’une expérience au sein d’une ONG, que ce soit en tant que volontaire ou en tant que salarié, est souvent très enrichissante, même si les niveaux de rémunération restent faibles. Si l’on souhaite exercer une activité professionnelle dans une organisation non gouvernementale, il convient de ne pas oublier les ONG étrangères et internationales.
Jean-Louis VielaJus constate que, dans les ONG françaises, les métiers changent et peuvent être regroupés en trois grandes catégories : le renforcement de capacités des partenaires, l’intermédiation entre acteurs locaux et le plaidoyer (lobbying en soutien des organisations du Sud et lobbying auprès des institutions internationales dont les décisions influent sur le destin de ces organisations). En France, il existe encore peu de formations qualifiantes qui préparent à ce métier de lobbying, celle-ci reste une spécialité anglo-saxonne. Avoir travaillé dans des ONG non françaises ou dans des zones « pionnières », autrement dit dans des régions où les projets de développement sont peu implantés, est un plus. D’une manière générale, toute expérience atypique est valorisable. L’idéal serait de parvenir à une double insertion : allier une activité en France, qui donne un référentiel réel par rapport aux acteurs français, et une expérience dans la coopération.
Certaines ONG ont des structures de recherche et capitalisation, mais l’innovation est aujourd’hui peu fréquente. Les besoins de financement sont croissants et les conditionnalités des bailleurs de fonds de plus en plus nombreuses (et strictes).
Hugues Leroux
Hugues Leroux travaille aujourd’hui au sein du Groupe Huit, bureau d’étude de développement urbain qu’il faut comprendre comme « développement municipal ». Il précise que si la Banque mondiale est l’organisation qui s’est, selon lui, s’est le plus et le mieux intéressée à l’aménagement urbain, ce secteur ne représente néanmoins que 4% de son budget.
Le Groupe Huit est né en Tunisie, donc dans une culture différente de celle de la société française, avantage selon M. Leroux car, rappelle-t-il, dans la coopération internationale, il faut être prêt à oublier sa propre culture et à découvrir celle de l’autre. De plus, si on veut « se vendre », il importe de maîtriser d’autres langues que le français et, notamment, au minimum l’anglais et/ou l’espagnol.
En Tunisie, au moment de l’indépendance, d’énormes investissements ont été réalisés dans les structures lourdes : ports, gros aménagements urbains, etc. Il est à noter que la légalisation des populations des quartiers pauvres des villes est une problématique récurrente.
Le Groupe Huit a acquis son savoir-faire en Tunisie. Il l’a ensuite adapté à d’autres régions du monde (Maroc, Afrique sub-saharienne, Asie).Aujourd’hui il est très important de bien gérer ses relations. Il faut de plus avoir une bonne technique de base.
Un bon Bureau d’études se doit d’être meilleur que les autres et moins cher. La connaissance des pays « cible » est importante. Il faut savoir que tous les gros bureaux d’étude se sont nourris de fonds nationaux dans les années 70 et 80 ; ils sont morts à la fin des années 80.
Marie-Pierre Bourzai
Marie-Pierre Bourzai est géographe-urbaniste. Elle souligne que la première grosse difficulté à laquelle est confronté un jeune diplômé qui rentre sur le marché du travail est le premier emploi. Une fois que celui-ci est « décroché », il est possible de sortir du cercle vicieux : « pas d’emploi donc pas d’expérience donc pas de réseau donc pas d’emploi ». Une solution peut être de commencer par proposer ses services gratuitement à un organisme, le but étant de se faire connaître et reconnaître. Mlle Bourzai insiste sur l’importance de bien connaître ses interlocuteurs, leurs attentes, leurs habitudes, leurs motivations, etc. En outre, elle ajoute qu’il faut faire attention à ne pas se faire oublier en restant trop longtemps « perdu » sur le terrain ; il est difficile alors de reprendre contact avec son réseau. Lorsque l’on est en poste à l’étranger, il faut s’assurer qu’une personne ayant autorité pourra témoigner de nos actions. Enfin, elle met en garde contre « les effets de mode » qui conduisent à s’intéresser à un domaine dont on parle beaucoup sans s’assurer de sa pérennité ou de ses débouchés.
Marie-Pierre Bourzai conseille aux étudiants et jeunes diplômés souhaitant s’orienter vers le secteur du développement urbain de consulter le site de l’ISTED. Elle invite également ceux qui veulent connaître les offres d’emploi proposées par les ONG à consulter le site de Coordination Sud. Elle ajoute que la bibliothèque du ministère de l’équipement est riche en documentation sur l’urbanisme des pays en développement et un point d’information sur l’Union européenne. Enfin, elle rappelle que, dans le cadre de la coopération décentralisée, les collectivité locales et territoriales constituent également une piste de recherche de débouchés dans la mesure où les départements, les communautés locales et les groupements de communes, par exemple, mènent parfois des actions à l’international.
Débat avec l’assemblée
Le paragraphe qui suit constitue la synthèse des questions, réponses et discussions échangées entre le public et les intervenants de l’atelier.
Tous les intervenants sont d’accord pour dire qu’il faut absolument connaître le mécanisme de l’appel d’offre et des contrats (cf. le chapitre « Procurement Services » des sites des grands bailleurs de fonds).
L’union européenne est la première source au monde d’aide au développement. Elle met une certaine pression, ce qui rend la tâche des prestataires plus difficile.
Il faut déplorer que les bureaux d’études, trop impliqués dans une logique marchande, ne mènent plus, comme autrefois, de réflexions de fond sur les problématiques du développement. Dorénavant, seules les ONG mènent une réflexion sur ces sujets, mais leurs moyens sont limités.
Dans les entreprises, on parle de plus en plus de développement durable et de responsabilité sociale. Des partenariats entre ONG et entreprises sont envisageables (ils existent parfois) mais l’ONG doit rester vigilante sur les conditionnalités que mettra l’entreprise à l’octroi de financement. De plus en plus, les entreprises mettent en place leur propre service interne de coopération internationale, ce qui entraîne parfois une profonde confusion entre ce que font les entreprises, les Etats et les ONGs.
Conclusion
Pour travailler dans la coopération internationale il faut être double à plus d’un titre :
  • Il faut une double compétence : Une formation de base solide et Une compétence transversale (acquise par l’expérience)
  • Il faut aussi avoir une double culture. La personnalité a autant d’importance que la formation.
Il faut également une forte motivation car dans le domaine du développement urbain, il est sans doute plus facile de travailler en France qu’à l’international.
Il faut se tenir informé en permanence.
On constate un grand décalage entre la formation des étudiants et les demandes du marché (ex : la connaissance des Appels d’Offre commence tout juste à être intégrée dans les formations). Les choses changent vite. Il faut donc être très exigeant vis-à-vis de nos formations, de nos formateurs et de nos enseignants.