Compte rendu du dîner débat du 22 mai 2012

QUELS TRANSPORTS URBAINS POUR LES VILLES DU SUD ?

Marcel BELLIOT président de AdP, introduit le dîner débat organisé par l’association et destiné à aborder la question des systèmes de transports urbains dans les pays en développement et émergents. Comment la qualité des transports urbains influe-t- elle sur le fonctionnement et l’attractivité des villes du Sud ? Comment la mobilité urbaine s’organise-t-elle dans des contextes marqués par l’explosion démographique, la rapidité de l’urbanisation, la congestion croissante ou encore les faibles capacités techniques et financières des pouvoirs publics ? Quelles solutions organisationnelles, techniques et financières apporter pour répondre à des besoins de déplacements toujours plus importants ? Enfin, quel rôle pour les acteurs de la coopération internationale : bailleurs internationaux, coopération décentralisée ?

Pour ce débat, l’AdP a fait appel à Xavier GODARD, expert de la mobilité urbaine, ancien directeur de recherche à l’INRETS et spécialiste des pays d’Afrique Subsaharienne et de la région Méditerranée, et à Julien ALLAIRE, directeur technique de la CODATU (Coopération pour le développement et l’amélioration des transports urbains), organisation internationale qui travaille depuis plus de trente ans sur la mobilité urbaine dans les pays en développement.

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Xavier GODARD ouvre le débat. Il décrit les spécificités des villes du Sud et en souligne la diversité. Selon lui, le transfert brutal du système français de transport urbain largement subventionné ne peut pas réussir sans adaptations dans des contextes où les ressources des collectivités locales sont rares et où la place de l’industrie du minibus (transport artisanal privé) reste prépondérante.

Xavier GODARD a identifié différents facteurs qui sont à prendre en considération :

  • La croissance continue du coût de l’énergie, l’étalement urbain et l’allongement des distances de déplacement. Dans les villes du sud, dans le secteur public comme dans le secteur artisanal, les dépenses en énergie liées aux déplacements sont bien souvent supérieures aux dépenses de personnel. Mais le prix très faible du carburant dans certains pays pétroliers est un aussi un obstacle à une politique de mobilité durable.
  • Les ratios d’émissions de gaz à effet de serre peuvent varier de 1 à 10 entre certaines villes du Sud et celles du Nord… Ci-dessous, quelques estimations d’émission de CO2 dues à la mobilité urbaine par habitant et par an (à ne considérer que comme des ordres de grandeur):
    • Etats Unis : 5 millions de tonnes de CO2
    • France : 2 millions de tonnes
    • Pretoria : 1,2 million de tonnes
    • Le Caire : 0,8 million de tonnes
    • Abidjan : 0,5 million de tonnes
    • Dakar : 0,3 million de tonnes
  • La pauvreté chronique d’une large partie de la population compromet l’accès quotidien à un système de transport de masse et rend son utilisation irrégulière pour les ménages avoisinant le seuil de pauvreté. Dans les villes du Sud, les autorités sont confrontées à des choix stratégiques en matière de transports urbains : faut-il faciliter la mobilité du plus grand nombre par une tarification adaptée, au risque d’offrir conditions de déplacements assez sommaires…ou faut-il mettre en place une offre de transport public confortable favorisant le report modal et suffisamment attractive pour les automobilistes souvent issus des classes sociales intermédiaire et supérieure ?

Au regard de ces différents éléments, Xavier GODARD suggère qu’une offre de transport diversifiée pourrait constituer la réponse la plus adaptée. La solution réside sans doute dans l’articulation entre un transport public structuré et le transport artisanal (terme préféré à celui d’informel). Bien souvent, celui-ci possède ses propres règles d’organisation, des syndicats de chauffeurs qui gèrent les stations et un réel savoir-faire. L’enjeu est donc d’intégrer ce secteur dans un système d’ensemble. Jouer la carte du rabattement de la clientèle vers les pôles d’échanges pourrait être envisagé pour faire progresser ce secteur et en minimiser les inconvénients. Cette complémentarité s’observe par exemple à Rio de Janeiro au Brésil, ou encore à Johannesburg et Lagos, deux villes où les syndicats de minibus ont été associés au capital de l’entreprise publique de BRT (Bus Rapid Transit ou BHNS : Bus à Haut Niveau de Service) pour une meilleure acceptation du projet.

Il pose enfin la question de ce qu’il considère comme un déclin de l’influence française sur ces questions à l’échelle mondiale, comme en témoigne la quasi absence de références francophones dans les travaux de UN-Habitat ou d’autres organisations internationales. Les options de la CODATU dans le passé, trop marquées par le jeu franco-français et par des moyens limités, n’ont pas été à la hauteur de ces enjeux mais de nouvelles orientations pourraient émerger à condition que l’analyse de l’expérience passée ait été faite.

Julien ALLAIRE rappelle que les villes en développement doivent faire face à une forte croissance du taux de motorisation. Ce phénomène, lié au développement économique du pays, engendre une dépendance des villes pour ce mode de déplacement et réduit l’efficacité des autres modes de transport. Cette dépendance à l’automobile oriente les pays du Sud dans un mode de développement consommateur d’énergie, générateur d’externalités locales négatives et ayant de lourdes conséquences en termes d’accidentologie.

Les transports de masse sont des éléments structurants pour les villes du sud. Le Bus Rapid Transit est particulièrement en vogue. Des coûts moindres et des temps de réalisation restreints par rapport au métro et au tramway restent les arguments phares des promoteurs de ce modèle.

Parmi eux, deux ONG américaines, ITDP (Institute for Transportation and Development Policy) et EMBARQ, se sont fait remarquer ces dernières années pour leurs actions d’assistance à maîtrise d’ouvrage auprès de collectivités locales des pays émergents et pour le développement d’un plaidoyer efficace auprès des institutions internationales. Elles ont ainsi participé activement à implanter les BRT d’Istanbul, Mexico, Guangzhou, Ahmedabad ou encore Johannesburg… Leurs logiques d’intervention privilégient l’adaptation locale des systèmes traditionnels d’autobus à l’importation brutale de nouvelles technologies. Elles sont aujourd’hui largement reprises par la Banque Mondiale.

Ce type de projet développé dans les grandes villes apparaît comme un moyen de développer des politiques de transport plus générales. Toutefois, Julien ALLAIRE s’interroge sur les enjeux relatifs à la cohérence entre transport et planification urbaine et l’intérêt de développer des démarches de planification stratégique, élaborées en amont des projets de transport. L’expérience française en la matière pourrait permettre de porter autrement des solutions adaptées aux villes du Sud.

Julien ALLAIRE présente les actions de CODATU. Cette structure est une plateforme d’échanges entre experts internationaux et a vocation à développer son activité de formation pour renforcer les capacités des villes du Sud. Elle est financée par des collectivités françaises et des entreprises. Récemment le GART s’est associé à CODATU afin de développer des coopérations sur la mobilité durable à l’international.

La CODATU cherche par ailleurs à inscrire son action dans les agendas internationaux: dérèglement climatique, objectifs du millénaire pour le développement, décennie de la sécurité routière, etc.

La CODATU a rejoint l’initiative SLoCaT (Sustainable Low Carbon Transport), qui réunit de nombreuses institutions internationale pour une plus grande reconnaissance du lien entre transports urbains et les enjeux environnementaux. SLoCat développe des actions de plaidoyer pour créer un objectif du développement durable sur la mobilité urbaine.

La CODATU promeut également certaines spécificités françaises reconnues comme intéressantes par la communauté des experts internationaux :

  • La mise en place d’AOT (Autorités Organisatrices des Transport) qui soient également dotées de la compétence “planification“, qui soient financées par une taxe dédiée et qui soient en capacité de contractualiser avec un exploitant.
  • Les plans climats énergie territoriaux ou encore les PDU (Plan de déplacements urbains) qui permettent de relier les problématiques de déplacements et celles d’environnement ou d’aménagement

Il indique pour finir que la CODATU tiendra sa 15ième conférence internationale à l’automne 2012 à Addis Abbeba sur le thème “ Le rôle de la mobilité pour remodeler la ville ».

Les échanges avec la salle ont ensuite porté sur divers sujets :

  • Le fret urbain est une question trop peu traitée lorsque l’on évoque les problématiques de transports et de déplacements. Il faudrait étudier la mise en place d’AOT dédiées à la logistique urbaine.
  • Les “deux roues motorisées“ jouent un rôle très important au sein du système de déplacement dans de nombreuses villes du sud, avec notamment l‘extension des taxi-motos en Afrique sub-saharienne.
  • Le mode de financement des échanges d’expertises et la portée des actions développées : les ONG américaines reçoivent le soutien de fondations. Quels financeurs pour une initiative telle que CODATU ?
  • L’apport de la coopération décentralisée (spécificité française) et l’ambition du GART et de CODATU d’appuyer les villes du sud dans ce domaine. Les moyens de la coopération décentralisée restent cependant limités, ce qui amène à évoquer l’intérêt d’un élargissement et d’un renforcement de la Loi OUDIN pour grossir ces moyens … La coopération décentralisée permet un appui de moyen ou long terme à peu de frais. Ce soutien peut être relayé par la CODATU dont les moyens sont certes modestes si on les compare aux ONG anglo-saxonnes cités en amont mais il peut être également articulé avec les interventions des bailleurs de fonds, comme l’AFD, qui disposent de vrais financements tant pour la formation que des préfinancements pour des réalisations

1- Le développement des projets de BHNS (Bus à Haut Niveau de Service) dans les agglomérations françaises, notamment dans le cadre des appels à projets lancés à la suite du Grenelle de l’Environnement, s’est fait sur les mêmes logiques de calcul financier.