Compte rendu du dîner débat du 5 février 2013

La production massive de logements sociaux en Amérique Latine

Marcel BELLIOT président de l’Association des Professionnels Villes en développement, a introduit le dîner débat organisé par l’association et destiné à aborder la question de la production du logement social en Amérique latine. Comment caractériser la production de ce type habitat en Amérique latine ? Quel en est l’impact urbain ? Quelle articulation peut être faite entre le logement social et la ville ? Enfin, comment est perçue cette production massive du logement social sur le continent ?

Pour ce débat, l’AdP a fait appel à Catherine PAQUETTE, urbaniste chargée de recherche à l’IRD au Pôle de recherche pour l’organisation et la diffusion de l’information géographique (Prodig) et à Jean-François PARENT, président du LIHP (Laboratoire International pour l’Habitat Populaire) et dont les travaux se sont attachés à décrire l’habitat social à Bogota (Colombie) et à Caracas (Venezuela).

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1 E R E I N T E R V E N T I O N – C A T H E R I N E P A Q U E T T E , I R D

L’objet de cette intervention a été de décrire la réalité de la production de logements sociaux au Chili, Mexique, Brésil, Colombie, Venezuela (…) d’en faire ressortir les similitudes puis de dresser le bilan urbain des politiques de production massive de logements sociaux et des problèmes qui se posent aujourd’hui dans ces pays.

La production massive de “logements sociaux“ a d’abord débuté au Chili à partir de la fin de la dictature de Pinochet, puis elle a été expérimentée au Mexique, où près de 9 millions de logements sociaux ont été construits depuis le début des années 2000. Les « logements sociaux » dont il est ici question ici ne peuvent se comparer aux « logements sociaux produits en France puisqu’il s’agit essentiellement de logements individuels en accession destinés à la classe moyenne ou moyenne inférieure et produits pas la promotion privée. Ce type de production massive a ensuite été adopté, plus récemment, au Brésil avec la programme « Minha casa Minha vida », mis en place à la fin du premier mandat du président Lula. Le Venezuela et la Colombie ont également mis en œuvre des politiques similaires. De manière générale, la solvabilité et donc la possibilité d’endettement, est un pré requis nécessaire aux pays émergents qui veulent lancer une telle politique (Venezuela excepté).

Même s’il difficile de généraliser pour l’ensemble des pays latino-américains, la production massive de logements sociaux est aujourd’hui une réalité régionale et les politiques mises en place dans ces différents pays présentent deux grandes similitudes.
La première est le statut d’occupation. Il ne s’agit en effet que de propriété et pas de location,
même si au Chili et au Mexique une production de logements sociaux locatifs a pu exister dans le passé..
La deuxième similitude est le fait que ces logements sociaux soient aujourd’hui construits par la
promotion immobilière privée. Les institutions publiques de logement facilitent l’accès à la propriété des classes moyennes basses en leur octroyant des crédits et des subventions, ce qui a favorisé l’émergence et la promotion de grands promoteurs privés qui n’existaient presque pas avant 1980 dans le domaine de la construction de logements sociaux.
Cette politique a pris un tel essor au Mexique qu’aujourd’hui près de 80% des logements neufs
produits sont des logements sociaux ! Le lobbying de promoteurs privés pousse le gouvernement mexicain et les institutions publiques à continuer d’octroyer des crédits aux
populations. Cette production de logements sociaux ne s’inscrit pas dans une logique de projet urbain d’ensemble, il s’agit avant tout d’un modèle financier qui donne lieu à un « modèle urbain par défaut ».

Ces politiques de production massive de logements sociaux sont à priori un succès majeur des pays émergents :
Le déficit de logements est réduit très rapidement (en apparence) La croissance économique est soutenue
Les réseaux sociaux liés à des revendications fortes et sensibles politiquement sont déstructurés (notamment au Mexique) et on fabrique facilement de la classe moyenne par le bas.

Néanmoins les pays qui ont expérimenté ces politiques doivent maintenant faire face à plusieurs problèmes tels que l’étalement urbain, la désertification des centres ville, la fragmentation des espaces urbanisés. Le raccordement des logements sociaux aux services urbains de base, les coûts et temps de transports pour rejoindre le centre ville et les zones d’activités économiques sont importants. Enfin, la politique de production massive a également un impact social important, notamment au Chili, où le phénomène de ghettos est apparu dans les quartiers de logements sociaux : comme l’affirme Alfredo Rodriguez, de l’ONG SUR, on est passé du problème des « sin techo » (les sans logis) à celui des « con techo »(ceux qui ont un logement).

Depuis quelques années la production massive de logements sociaux est donc remise en cause en raison de ses impacts nombreux, tant sociaux qu’urbains. Il s’agit désormais de trouver des solutions permettant de répondre à la demande de logements en évitant les problèmes mentionnés : une des solutions préconisée au Mexique est de changer d’échelle et de construire de véritables villes nouvelles d’habitat social, autosuffisantes, avec de l’emploi et des services qui permettraient aux populations de travailler sur place.
La question de la rénovation des ensembles de logements qui ont été construits depuis le début des années 2000 commence à être abordée, en particulier parce que le taux de logements vacants est très élevé (abandon par les propriétaires, qui doivent faire face à des coûts de transport beaucoup trop élevés). Les premières actions indiquent toutefois que le modèle de rénovation urbaine qui se met progressivement en place est avant tout financier (et non pas urbain), tout comme le modèle de production initial.

Les échanges ont ensuite porté sur divers sujet :

• Quel est le statut des crédits, s’agit il de crédits hypothécaires ?

Catherine PAQUETTE : Au Chili, 95% de la valeur du logement correspond à des subventions. Au Mexique en revanche, c’est avant tout du crédit destiné aux salariés du formel et qui provient des cotisations patronales.

• Quelles sont les formes urbaines des logements sociaux (immeubles, maison individuelles) ?

Catherine PAQUETTE : Il s’agit de petites maisons individuelles produites dans le cadre de programmes qui peuvent totaliser des dizaines de milliers d’unités d’habitation, implantés à plusieurs dizaines de km du centre, là où l’espace est aisément disponible et le foncier peu élevé. La surface des lots est de l’ordre de 100 m2… et la surface habitable des logements sociaux au Mexique est aujourd’hui d’environ 34m2 et 72m2 au Venezuela.

2 N D E I N T E R V E N T I O N – J E A N F R A N Ç O I S P A R E N T , L I H P

Jean-François PARENT a commencé par rappeler qu’il est nécessaire de relativiser les notions de logement social et de propriété privée, qui diffèrent selon les pays et selon les régions d’un même pays. Pour une large part, ils dépendent de l’histoire et des politiques nationales. Ainsi, si le concept de logement social est une notion forte en France, il est parfois inexistant en Amérique latine. De même, la perception du logement social sera différente selon que l’on se place du point de vue d’un urbain relogé à Rio de Janeiro ou de celui d’un paysan mexicain issu de l’exode rural.

Jean-François PARENT a présenté de cette façon ce qu’il estime être le cœur du sujet : entre politiques publiques et production massive, quel serait le rôle pour le logement social (loger, transformer la ville, répondre à l’urgence) ?

Pour répondre à cette interrogation, il a proposé deux études de cas, les villes de Bogota et
Caracas, dont il a défini le cadre urbain.
– Bogota, capitale de la Colombie (48 millions d’habitants) présente une extension urbaine linéaire au Sud.
– Caracas, capitale du Venezuela (30 millions d’habitants) est au contraire une ville qui se construit sur elle même. Cela n’a rien d’étonnant étant donné que les Vénézuéliens vivent en ville à 98% et que de nombreux déplacements des populations vers les villes sont encouragés par le gouvernement.

Jean-François PARENT a par la suite précisé les outils publics encadrant la production de logement dans les deux pays :
– A Bogota, Metrovivienda organise et viabilise le foncier pour le revendre ensuite au privé. Elle mène ce que l’on peut qualifier de politique de l’urgence uniquement. De fait, la production est individuelle ou semi individuelle et de qualité médiocre.
– A Caracas, en revanche, Gran Misión Vivienda récupère le foncier, le construit et l’aménage. Il en résulte une production de logements collectifs, de qualité médiocre mais tendant à s’améliorer. Politique de l’urgence encore, elle s’inscrit pourtant dans une politique publique massive. A long terme, l’objectif est de faire la ville en réintroduisant le travail dans les quartiers.

Pour conclure sur la comparaison entre les deux capitales, Jean-François PARENT a estimé que la divergence de fonction du logement social mène logiquement à une production différenciée. Au final, le logement social résout les problèmes mais ne fait pas vivre.
Les échanges ont ensuite porté sur divers sujets :

• Qui finance les logements sociaux au Venezuela ? L’Etat est-il capable de financer les logements sociaux au vu de la situation pétrolière du pays ?

Jean-François PARENT : Le Venezuela a les outils économiques pour la production de logements sociaux (3 millions de nouveaux logements en 10 ans) mais pas la technique. Ainsi, le problème des logements sociaux en Amérique latine est avant tout un problème politique.

• D’un point de vue architectural, quelle comparaison peut être établie entre Colombie et
Venezuela ?

Jean-François PARENT : Au Venezuela, les logements sociaux sont beaucoup plus esthétiques, durables et vivables (entre 72 et 80 m2) qu’en Colombie. Autre point, l’importation de savoir faire mène à la standardisation. Retravaillé, le savoir faire a un effet immédiat, comme celui de l’influence des Caraïbes (exemple de la ventilation). En Colombie, les fonctions du logement sont uniquement d’avoir un toit et de quoi travailler.

D E B A T

• Dr MONJOUR : Quelle qualité des équipements et services pour les logements sociaux ?

Catherine PAQUETTE : Les équipements ont connu un gros progrès par rapport au début des années 2000. L’eau est par exemple maintenant recyclée. Le problème principal reste celui de l’accès aux transports. Les municipalités assurent les services de base comme l’accès à l’eau et l’assainissement. Ces services sont par ailleurs de bonne qualité.
Jean-François PARENT : Les logements réalisés sont des « logements verts ». L’Etat tente de viabiliser les logements, ce qui n’est en soit pas très rentable mais a pour but de revendre au secteur privé.

• Michel GÉRARD : Qui finance les réseaux ?

Catherine PAQUETTE : Les Etats (le Mexique est un pays fédéral) financent les réseaux. Le transport public, de type artisanal, apparaît spontanément dans les périphéries des villes, pour desservir les grands lotissements d’habitat social. Il ne s’agit pas de transport informel car ce service est régulé par les Etats, qui fixent les tarifs, et octroient les concessions aux opérateurs.

Claire VIGE HELIE – Les Ateliers de Cergy : Quel a été concrètement le travail effectué par le laboratoire LIHP ?

Jean-François PARENT : Au Venezuela, dont l’implantation est récente, le LIHP a réalisé en coopération avec le gouvernement un travail pilote innovant. Il s’agissait notamment d’un travail sur la phase de faisabilité et d’échelle. A Bogota, le LIHP a rencontré les représentations populaires et a apporté son aide sur la signification du développement de la ville.

• Déborah CARNIAUX : Il y a-t-il des encouragements d’économie de quartier et de politiques d’aménagement local ?

Catherine PAQUETTE : Au Mexique, la production massive de “logements sociaux“ ne favorise pas l’apparition d’économies de quartier, comme c’est le cas avec les quartiers d’urbanisation informelle, où les habitants sont non seulement à l’origine du développement de l’habitat mais aussi de celui d’un vrai tissu urbain, d’ailleurs doté de qualités de centralité qu’ils soulignent fréquemment. Cette capacité à construire de la vraie ville est une force au Mexique, même dans les quartiers de « logements sociaux » qui n’ont pas été conçus dans ce sens, on voit se développer des pôles informels de centralité qui témoignent de la capacité des mexicains à recréer de la vie urbaine.

• Marcel BELLIOT : Existe-t-il une planification urbaine ?

Catherine PAQUETTE : Au Mexique, la crise de la planification se manifeste différemment selon les échelles. Au niveau fédéral, le Mexique n’a pas de programme national de développement urbain actualisé et qui prenne en compte cette production massive de logements. Au niveau de la capitale du pays, même difficulté : le dernier schéma directeur de Mexico date de 2003 et on n’a pas réussi à l’actualiser depuis, malgré plusieurs tentatives. Le niveau local souffre en revanche de ce qu’on appelle la « planitis », c’est-à-dire la tendance à multiplier les plans et surtout, à les modifier selon les pressions et les enjeux du moment. Les IMPLAN (instituts municipaux de planification) sont probablement une solution d’avenir au Mexique car ils permettent de faire participer les citoyens et d’introduire une continuité indispensable, car les mandats des maires ne durent que trois ans et ne sont pas renouvelables. Chaque IMPLAN est particulier, celui de León fonctionne par exemple très bien.

Marcel BELLIOT remercie les intervenants et conclut en notant que même dans des situations urbaines aussi problématiques que celles de ces grands quartiers de “logements sociaux“ mexicains, la capacité de recréer de la vie urbaine n’a apparemment pas disparu et que cela peut
être un motif d’espoir pour l’avenir.