Compte rendu du dîner débat du 6 mars 2007

2007 – Milieux d’urbanistes du Sud et du Nord : quel partenariat ?

Étaient présents : Michel Arnaud, Phillippe Billot, Rolande Borrelly, Pascal Chombart de Lauwe, Xavier Crépin, Julie Devallan, Pablo Diaz, Michel Gérard, Mylène Hue, Eric Huybrechts, Valérie Clerc-Huybrechts, Claude Jamati, Aurélie Jehanno, Pierre Laye, Marie Legac, Hugues Leroux, Patrick Martin, Jean-Michel Maurin, Claude de Miras, Danièle Navarre, Thierry Paulais, Paul Pavy, Pelliard, Jean-Luc Perramant, Jean-Louis Perrault, Claude Praliaud, Solveig Rakotomalala, Vincent Renard, Françoise Reynaud, Bruno Richard, Eric Verdeil, Véronique Verdeil, Martine Villars, et Taoufik Souami.
A l’occasion de la parution de l’ouvrage Concevoir et gérer les villes. Milieux d’urbanistes du Sud de la Méditerranée1 de Taoufik Souami2 et d’Éric Verdeil3 ; et du numéro de Géocarrefour consacré aux « Expertises nomades »4, l’AdP – « Villes en développement » a organisé un débat en présence des auteurs. L’objectif de ce dîner-débat était de confronter les résultats et les questions soulevées dans ces ouvrages, au regard des expériences des professionnels français et occidentaux, formateurs ou praticiens de l’aménagement, exerçant dans le domaine de la coopération.
En effet, ces ouvrages synthétisent les recherches, menées ces dernières années, autour de la question des professionnels de l’urbanisme dans les pays en développement. Ils présentent des exemples de la circulation d’idées et des modèles de pratique d’acteurs de l’aménagement urbain dans ces pays.

Synthèse du dîner-débat :

Dans son discours introductif, Monsieur Claude JAMATI, Président de l’AdP, a remercié les auteurs des ouvrages et les participants à ce débat et a ensuite procédé à la présentation des deux ouvrages. Taoufik SOUAMI et Eric VERDEIL ont alors exposé les motivations qui les avaient incitées à engager ce travail de recherche ainsi que les résultats de leurs travaux et les principaux enjeux qui y sont rattachés. S’en sont suivies de nombreuses questions et réflexions entre les participants et les auteurs.

A- Les interventions

Introduction de M. Claude JAMATI :

Le milieu de l’urbanisme est un milieu hétéroclite, formé de professionnels d’origines variées, aux formations initiales diverses et aux statuts différents.
Longtemps, les pays du Nord ont été des pays « émetteurs » d’urbanistes, ces derniers exportant leurs savoir-faire aussi bien en Amérique Latine, qu’en Asie ou en Afrique. Toutefois, depuis quelques années, une nouvelle configuration apparaît, où l’on voit émerger, dans ces mêmes pays du Sud, des professionnels de l’urbanisme disposant de cultures et de connaissances qui leur sont propres.
Face à ce constat, l’AdP – « Villes en développement », en tant qu’association française de professionnels de l’urbanisme, est aujourd’hui amenée à réfléchir sur les options qui s’offrent à elle et sur la manière dont elle devrait interagir avec les milieux d’urbanistes étrangers :
  • L’AdP doit-elle nouer des partenariats avec des associations professionnelles du Sud de la Méditerranée, et si oui, lesquelles et sur quelles bases ?
  • Que conseiller aux nouvelles générations d’urbanistes français qui voudraient intervenir dans ces pays ? Quelle position peuvent-ils adopter ?

Intervention de M. Taoufik SOUAMI :

Parmi les motivations qui ont animé les auteurs à la rédaction de ces ouvrages, nous pouvons citer celles-ci:
  • Faire accepter, enregistrer et prendre conscience de l’émergence des milieux de professionnels de l’urbanisme, structurés ou non, dans les pays du Sud. En effet, bien qu’il existe, dans la littérature scientifique actuelle, des travaux et des analyses sur les transferts de compétences Nord-Sud, ou encore des biographies sur certaines personnalités historiques de ces pays ayant joué un rôle dans l’aménagement de leurs villes, peu de connaissances en revanche ont été produites sur la nature, la complexité et la diversité de ces milieux de l’urbanisme du Sud. Or, de nos jours, on ne peut nier l’existence de ces professionnels urbanistes, dont le nombre ne cesse de croître.
  • Vérifier et creuser l’hypothèse selon laquelle ces professionnels de l’urbanisme et de l’aménagement ne sont pas des rouages neutres dans la mise en œuvre des politiques publiques. Ils sont au contraire des acteurs actifs qui participent de la transformation du milieu de l’urbanisme.
Il agissait donc de s’interroger sur l’identité de ces milieux professionnels de l’urbanisme, ainsi que sur les modalités de fonctionnement, et de mettre en avant leur hétérogénéité. Ils sont en effet aussi bien formés d’architectes, d’ingénieurs, que de géographes ; travaillent dans des structures diverses (agences d’urbanisme, bureaux d’études), à des niveaux différents, au sein de projets dont les objectifs sont variés.
Quatre clés d’entrée ont été déterminées afin de dresser le portrait de ces milieux :
  • la formation,
  • l’organisation professionnelle,
  • la pratique (plans, réseaux),
  • les lieux d’exercice (agences, bureaux d’études, etc.)
La recherche a été centrée, essentiellement, sur l’étude de six pays situés au Sud de la Méditerranée, à savoir : le Maroc, l’Algérie, l’Égypte, la Palestine, le Liban, la Turquie. Certains apports concernant la Syrie, la Jordanie et la Tunisie ont permis d’enrichir l’expertise.
Les résultats obtenus de la recherche ont amené les auteurs à confirmer l’hypothèse de l’existence de ces milieux professionnels de l’urbanisme. Une analyse approfondie de leur nature aboutit toutefois à la conclusion que ces milieux sont peu structurés : on ne peut que constater la prégnance d’une fragmentation et d’un resserrement autour des métiers de base. Ce constat peut néanmoins être nuancé par l’existence de certaines organisations professionnelles dans quelques uns de ces pays (Égypte, Turquie, Tunisie), que ce soit sous la forme de syndicats, de mutuelles, d’ordres ou d’associations. Créées à des périodes plus ou moins avancées du XXe siècle, ces organisations doivent leur genèse à un élément fondateur commun : l’apparition de mouvements nationalistes, réformistes et modernistes au sein de leur État. Leur formation n’est donc pas à relier à d’éventuelles crises urbaines mais bien à des velléités de « rattrapage » des villes du Sud par rapport à celles du Nord. Ces mouvements réformistes se sont particulièrement développés dans les années 1960-1970 dans les pays du Maghreb. Aujourd’hui les fondements ne sont plus les mêmes et ce sont d’autres motivations qui semblent justifier l’existence de ce milieu professionnel en gestation.
Deux considérations doivent alors être soumises à l’interrogation :
  • Comment dépasser les carcans d’une coopération Nord-Sud encore aujourd’hui marquée par une coopération de substitution qui occulte l’existence légitime de ces milieux professionnels ?
  • Comment repérer les compétences et savoir-faire de ces groupes ? En bref, comment construire les nouvelles bases d’une coopération internationale entre le Nord et le Sud ?

Intervention de M. Eric VERDEIL :

Depuis une dizaine d’années, sous l’effet de mutations économiques, apparaissent de nouvelles formations universitaires en urbanisme dans les pays du Sud. Ces filières locales forment chaque année jusqu’à plusieurs centaines d’étudiants urbanistes (400 en Turquie). Il s’agit donc là d’une
situation nouvelle pour le milieu des urbanistes du Sud, ces derniers étant habituellement formés dans les métropoles des anciens empires coloniaux.
Les études ont cependant montré que ces formations ne se sont pas mises en place en réponse aux demandes locales des collectivités ou des États qui auraient souhaité s’émanciper du Nord. On s’aperçoit en fait que ces nouvelles formations s’intègrent à des logiques universitaires de massification de l’enseignement, de diversification de l’offre de formation, mais aussi de recherche de solutions face à la montée du chômage (les États cherchant d’une part à créer des postes universitaires pour leur chercheurs, d’autre part à retarder l’entrée sur le marché du travail des jeunes étudiants).
On peut dès lors s’interroger sur la façon dont se construisent les savoirs dans ces milieux d’enseignement qui semblent parfois coupés des dimensions locales. Il semble qu’il y ait une déficience de formalisation et de transmission des expériences de terrain des professionnels de l’urbanisme du Sud. A l’inverse, les idées véhiculées par l’ « urbanisme international » sont largement diffusées.
Parallèlement à cette « nationalisation » des formations, on assiste à une internationalisation et à une diversification des pratiques urbaines liées à la libéralisation des systèmes de commande. Ce phénomène s’accompagne d’une montée d’un privé local au Sud, certains bureaux allant jusqu’à se transformer en de véritables firmes internationales notamment dans le cadre de logiques Sud- Sud (on peut ainsi citer l’exemple de l’intervention de bureaux d’études turcs dans différents pays d’Asie centrale).
Face à cela, il convient de se demander quels sont les impacts des mouvements de décentralisation engagés dans de nombreux pays du Sud. On ne peut que faire un constat mitigé de ces mouvements au niveau du monde arabe, où les municipalités et les agences urbaines restent sous la tutelle des Etats.
Ces différents enjeux obligent à élargir le panorama et à multiplier les angles de vue, afin de mieux comprendre les évolutions de ces mouvements d’expertise et de confirmer l’existence ou non de coopérations Sud-Sud.
On distingue selon les pays trois modalités :
  • Premièrement, le cas de l’exportation de capitaux en provenance des pays riches/pétroliers/rentiers ; on peut citer l’exemple actuel du projet marocain d’aménagement de la Vallée de Bouregreg, à Rabat, financé en grande partie par des capitaux du Katar, ou encore les apports de capitaux de Singapour au Vietnam ou en Chine ; ces exportations de capitaux donnent souvent lieu en parallèle à l’apport d’expertise.
  • Deuxièmement, le cas de nouvelles compétences portées par des associations et fédérations de populations locales (telles des associations de défense des habitants) dans le cadre de budgets participatifs.
  • Enfin, le rôle puissant joué par les milieux locaux dans le cadre d’une reconfiguration des modèles internationaux marqués par la présence d’organisation non gouvernementales.
Au vu du développement progressif de ces différentes formations, pour certaines bien ancrées dans le tissu local, il convient de réfléchir aux formes de reconnaissance de ces expériences par des acteurs locaux ?
L’ensemble des considérations émises par les auteurs a engagé la réflexion autour de différents thèmes.