[Vie de l’association] Dîner AdP 2009 Compte rendu : La ville stratégique (10 février 2009)

Compte rendu AdP – 11 février 2009

Le dîner débat de l’Association Villes en développement qui s’est tenu le 11 février 2009 à Paris autour de l’ouvrage « La ville stratégique » de Nicolas Buchoud, a réuni de nombreux professionnels de l’urbanisme français travaillant à l’international.

Le livre fait intervenir de nombreuses personnalités de l’urbanisme et de l’architecture internationale (UN Habitat, représentants de grandes institutions, docteur en urbanisme…) et des experts du monde en développement (Bali, Algérie, Mexique, Nigéria) et développé (Allemagne, Tokyo, Vancouver, Chine, USA…) dans une vingtaine d’articles, proposant ainsi des analyses de l’urbanisation dans leurs pays respectifs.

L’auteur y propose de nouveaux outils permettant une appréhension cohérente, concertée, et surtout processuelle de la « ville stratégique ».

En effet, comme l’explique Nicolas Buchoud, son ouvrage est le résultat d’un double constat, d’une part l’urbanisation irréversible du monde, qui n’est plus considérée comme un simple lieu d’exclusion, mais comme un élément positif du développement (Forum mondial urbain de Vancouver), d’autre part, le manque flagrant d’outils appropriés à l’urbanisation contemporaine (notamment dans le cadre de la reconstruction urbaine de Paris, et plus particulièrement de la ville nouvelle d’Evry).

Cependant, l’ouvrage, paru en 2008, en pleine crise financière mondiale, est soumis à une controverse, quant à savoir si du fait de cette crise, il ne serait pas obsolète dès sa parution.

En effet, en raison de la crise financière, une grande partie des mécanismes décrits se retrouvent perturbés, en raison de l’assèchement des crédits, des bouleversements touchant les acteurs privés, publics et locaux. Reste à savoir s’il s’agit d’une période de turbulence ou d’un changement de paradigme et d’époque dans le cycle décrit par Nicolas Buchoud.

Les conséquences de la crise quant à la redéfinition des acteurs notamment, et du changement du « mode de fabrique » de la ville, de ses enjeux sur le développement des pays du Sud constituent un réel défi.

Il convient donc de réétudier la place des villes et des collectivités locales, la place de la décentralisation, l’impact des plans de relance, et au-delà, la réaction des réseaux de professionnels au regard de ce panorama détruit.

La méthodologie proposée par Nicolas Buchoud mérite néanmoins un examen attentif, ce livre « n’appartenant pas encore tout à fait à l’histoire, [et qui] devrait pouvoir surpasser la crise économique ».

Nicolas Buchoud a donc travaillé sur le socle des affirmations nouvelles du Forum urbain de Vancouver, marquant un changement de paradigme complet en dégageant un consensus sur la caractérisation du fait urbain comme fait structurel et majoritaire en tant que tel, ayant des impacts sur les enjeux de gouvernance, les question économiques, la reconfiguration des relations entre les collectivités locales (ville, région, Etat) et impliquant la possibilité que cette explosion urbaine constitue une chance pour le développement.

Suite au Forum urbain de Nankin de novembre 2008, l’auteur a relevé une situation particulière marquée par des acquis, notamment la reconfiguration des réseaux professionnels engagés à l’échelle internationale, particulièrement via « Urban Planet Network » et « UN Habitat », ayant abouti à une dissémination de la Déclaration de Vancouver et du principe de la transformation de l’urbanisme pour répondre à un « monde-villes ». La question urbaine s’affirme, en termes de fabrication des espaces urbains, des investissements, et non pas seulement de la gouvernance. Il s’agit désormais de déterminer des modèles de fonctionnement.

L’auteur note ensuite au cours de l’année 2000, l’accélération de la circulation des capitaux et l’accélération spéculative qui s’est traduite dans les grands marchés internationaux de l’immobilier, par l’efflorescence de projets de très grande ampleur, traduisant la volonté manifeste de fabriquer de la ville (Dubaï, Abu Dhabi).

C’est lors de la confrontation de la question du développement structurel, du développement démographique et économique des villes qu’il apparaît un dysfonctionnement d’une partie des outils de planification.

Cette observation a été relayée par des faits tels que le tremblement de terre de mai 2008 en Chine, quelques mois avant le Forum urbain de Nankin, qui a posé la question des normes de construction, notamment antisismique, et de l’intégration du risque dans les plans d’aménagement. Ainsi, à Nankin, a été promue une « ville harmonieuse », ni tout à fait durable, ni tout à fait sociale, mettant au jour le rapport d’influence entre forces pour créer l’harmonie.

Grégoire Allix confirme que suite à la crise, à l’instar des banques et des entreprises qui reviennent à leurs fondamentaux, la ville s’est également recentrée sur ses priorités. Il avance également qu’il faut distinguer les villes comme Dubaï et Abu Dhabi qui sont en vérité des produits financiers, et ne sont pas conçues avec une vision à long terme. Selon lui, les interrogations sucitées par la crise est liée au recul des investissements privés, qui a pour conséquence l’effondrement du modèle de la ville qui reposait sur le mélange fin des fonctions.

Il soulève également l’importance des réseaux, et notamment UN Habitat , qui promeut le développement urbain comme levier de lutte contre la pauvreté. Il relève l’importance des réseaux d’urbanistes, et pose la question de leur influence sur les politiques publiques en matière de développement urbain et la gestion de l’afflux urbain par opposition à l’urbanisation spontanée.

Nicolas Buchoud ajoute que les organisations internationales (réseaux professionnels, institutions internationales) ne sont pas neuves, mais qu’elles ont connu une expansion nouvelle grâce aux outils de communication, et à la démultiplication des capacités d’organisation en réseau. Il prend l’exemple de Global Planners Network, où 500 000 urbanistes sont représentés. Dans cette organisation, des messages clés peuvent être produits, en collaboration avec les institutions internationales et relayés auprès des collectivités et réseaux de métropoles. Ces réseaux permettent donc la dissémination de connaissances pérennes au-delà de la crise. Selon lui, nous sommes face à un processus qui repose sur des méthodes de réflexion et de production de politiques de gestion urbaine.

Michel Gérard est en désaccord car il estime que l’urbaniste adapte ses réactions en fonction de la vitesse de l’urbanisation.

Michel Arnaud relève que la ville s’élabore en y vivant et qu’il n’y a pas une seule manière de faire la ville. Il ajoute que les conséquences de la crise sur les crédits devraient aboutir à une reprise en mains pragmatique par les populations. Il faut porter une attention particulière à la manière de faire les villes, il s’agit trop souvent de compétition internationale pour intervenir sur ces grandes villes du Sud. Il mentionne notamment la gestion des bidonvilles, laissée aux ONG et bailleurs, qui ne sont pas dans la compétition internationale. Il pense que la crise peut permettre de revenir aux fondamentaux et d’abandonner le « toujours plus haut » et la spéculation intellectuelle et architecturale. Il insiste sur l’idée que la ville, c’est d’abord de l’ordre, et que, même dans les bidonvilles, les gens ne s’y installent pas au hasard.

Nicolas Buchoud confirme cette idée selon laquelle la ville a tendance à s’autoproduire, selon laquelle elle résout des dysfonctionnements. Il introduit ici son idée force, à savoir que la démarche de la ville stratégique repose sur le fait que la ville est le résultat de différents processus.

Il prend l’exemple de certaines villes d’Amérique du Nord, qui sont selon lui particulièrement intéressantes sur le plan de la fabrication urbaine. Il relève notamment leur réaction lors de l’explosion de la crise des subprimes en 2007, et le retour massif des ménages au niveau de vie élevé, mais aussi des ménages des quartiers résidentiels, vers le centre. Il note la multiplication de projets résidentiels, de développement urbain intégré, menés par les maires américains.

Ainsi qu’il transparaît dans le chapitre 16 « Refonder l’urbanisme. Pour une nouvelle gouvernance des villes et des établissements humains » de l’ ouvrage, il s’agit d’identifier des principes opératoires, ainsi listés :

– Pour une vision sur le long terme (s’inscrire dans la durée)

– Pour une approche intégrée des projets et des budgets

– Pour un urbanisme de partenariat

– Pour des procédures d’urbanisme transparentes et opposables

– Pour une généralisation du principe de subsidiarité

– Pour une prise en compte du marché

– Pour rendre le foncier accessible à tous

– Pour des dispositifs adaptés à leur contexte d’application

– Pour une action en faveur des plus modestes et un droit d’accès à la vie (qualité de vie et qualité de ville)

– Pour une prise en compte de la diversité culturelle

Cependant, il remarque que dans 90% des cas les politiques de planification ne sont pas fondées sur ces principes mais relèvent de méthodes développées dans les années 1980 (comme à Manille), très différentes selon le statut des opérateurs.

Revenant sur l’exemple des villes américaines, François Noisette rebondit en rappelant que leur mode de fonctionnement est particulier, car ces villes doivent s’autofinancer sur leur impôt, il n’existe pas d’argent fédéral (national). Selon lui, cette responsabilisation de la ville ne peut être que positive. La question de la supériorité de la ville autonome est donc posée, mais Marie-Alice Lallemand-Flucher témoigne que ces situations existent d’ores et déjà dans certains pays européens, sans porter cette affirmation, tandis que

Nicolas Buchoud note à juste titre, comme le confirme Xavier Crépin, que même si les villes ne bénéficient pas directement de subvention de l’Etat fédéral, celui-ci n’est pas absent, et agit autrement que par l’intermédiaire du budget.

Il insiste sur le fait que la décentralisation prônée par les grandes instances n’a pas permis d’anticiper les problèmes urbains surtout lorsque la capacité financière locale est limitée. « La décentralisation n’est pas une réponse unique, l’Etat symbolise et porte les intérêts communs ». De plus, la communauté doit savoir dépasser le contexte local pour innover, dans une dynamique de réflexion collective afin de faire émerger une intelligence collective, qui s’exprime dans un lieu (type Forums urbains) et se diffuse par les réseaux.

Cependant Michel Gérard se demande : « Qu’est-ce qu’une intelligence collective ? ». En tant que processus ex-ante, elle se construit par le résultat d’expérience, les sociétés doivent d’abord les vivre avant de les intellectualiser. Seuls le temps et les conditions sociales transforment les sociétés.

Nicolas Buchoud atténue ce propos en indiquant qu’il existe des dynamiques qui se déroulent en parallèle, à différents niveaux. Il y a l’action urbaine, et au même moment des processus de réflexion plus globale, au regard des expériences urbaines et de leurs échecs.

De son côté Grégoire Allix reste sceptique sur la capacité à tirer parti des expériences passées de l’histoire. Il explique que : « la compétition entre villes entraîne un appel aux capitaux privés et à une surenchère dans la fabrique de la ville laissée à l’initiative privée ». Selon lui, la vision urbanistique actuelle est plus penchée sur des logiques financières de marque et de records, qui n’est pas celle des « vrais » urbanistes. Ceci est dû aux personnalités en charge de l’urbanisme, qui ont une réflexion en termes de risques politiques ?et non pas sur le long terme. Elles portent seules leurs projets, et après leur départ la ville devient parcellaire. Le manque de vision d’ensemble est fragilisant.

Nicolas Buchoud atteste ce constat : « Effectivement, le glamour planning révèle la compétition entre les territoires ». Les projets deviennent de plus en plus indifférenciés et cela ne construit pas la ville dans le sens d’une vision collective à long terme.

Michel Gérard nuance en expliquant que sa propre expérience du privé lui a appris que les investisseurs sont en attente d’une prise en main par les autorités publiques et d’une direction à prendre. Il cite l’exemple de Marne La Vallée.

Grégoire Allix déplore que Val d’Europe ait été totalement aux mains de Disney.

Michel Gérard explique ce qu’il a vécu en attestant que Disney a souhaité un tuteur public et que ce fut l’une des raisons pour lesquelles ils sont venus en France. L’administration était en mesure de donner des ordres de planification. De même pour la planification de New York qui s’est faite par l’agglomération d’entreprises privées se regroupant pour agir, sous la tutelle des maires et des collectivités.

Il pose ainsi la question : « Est-il si sûr que le secteur privé ait un tel désir de faire main basse sur la ville, même s’il existe des cas comme Taiwan et Dubaï ? ».

Mais Grégoire Allix insiste que le secteur privé, par définition, a vocation à faire de l’argent. Si dans les villes, il y a un besoin d’infrastructures, il peut y avoir entente. Mais le secteur public n’est pas forcément dans un rapport de force favorable.

Nicolas Buchoud répond que la question du plan d’urbanisme est presque secondaire par rapport à la façon dont la démarche de transformation et de construction va permettre de mettre un maximum d’acteurs en mouvement. Les années 2000-2001 ont vu se développer un débat sur les problématiques de régénération urbaine au sens de « réinvention pour demain », mais cette approche considèrait alors que le quartier appartenait au passé, bien qu’il s’y passe encore beaucoup de choses. C’est pourquoi il ne suffit pas de faire venir de bons architectes, mais aussi d’être modestes par rapport aux ambitions, et d’utiliser à fond les possibilités de rénovation, comme les liens entre financements publics et privés. Il existe une réelle opportunité de produire de l’intelligence pour qu’il y ait une adhésion des populations des quartiers concernés, voire une dynamique plus large. Le problème devient alors politique, avec des problématiques d’accessibilité et de développement social, qui doivent être choisies, et pas implantées par défaut.

Le chapitre 12 « Le théorème de Vancouver, ou le renouveau exemplaire des villes d’Amérique du Nord » montre que la ville de Vancouver est l’agrégation de ces différents éléments, la transformation du tissu urbain se réalisant en peu de temps grâce à l’économie résidentielle, par le mitage résidentiel du CBD. Ce cas allie volontarisme et vision urbaine d’ensemble, il y a là vraiment quelque chose qui fonctionne, malgré l’aspect spéculatif souvent souligné. La publication « La ville stratégique» se veut une boîte à outils qui montre ce qu’il est possible de faire avec des professionnels aguerris.

Michel Arnaud demande : « Est-ce l’urbanisme qui a changé ou bien est-ce la société ? »

L’alliance des pouvoirs politiques, des bourgeois, des investisseurs et de la matière grise n’a lieu que dans des contextes particuliers. On peut donc se demander si cette situation est reproductible.

Nicolas Buchoud cite les mutations urbaines sur la côte Ouest des Etats-Unis, qui ont été réalisées avec des dosages différents en capital. « Lorsqu’une partie de la réflexion sur la ville se noue, c’est parfois possible. »

Françoise Reynaud ? souligne que « La ville stratégique » arrive dans un moment de crise. Les exemples nord-américains ont eu lieu dans un contexte économique particulier qui n’est plus. L’ouvrage traiterait-il d’un modèle qui s’effondre ?

Nicolas Buchoud répond que là où il y a vraiment de la ville, les valeurs foncières sont stables voire à la hausse. Ce sont les espaces urbanisés résidentiels monofonctionnels, les produits immobiliers éloignés de tout équipement dont l’avenir pose problème. Les villes restent plutôt des moteurs, mais la réaction des territoires n’est jamais connue à l’avance.

Ainsi, il faut aussi considérer le cadre institutionnel dans lequel s’organisent les gouvernances. Par exemple, on cite souvent les villes nouvelles, comme Evry : en plus d’être un échec architectural, elles ont aussi manqué de cadres juridiques permettant de les gérer.

Pour Nicolas Buchoud, c’est une question de génération qui est posée : le discours sur les villes nouvelles est en grande partie issu d’analyses faites par des prescripteurs d’actions publiques qui informent et formatent le regard porté sur ces lieux. Pourtant, on ne devrait pas parler d’échecs, car il s’agit d’une chronologie construite. Ce ne sont pas que des espaces qui dysfonctionnent, mais plutôt des tissus urbains à prendre de façon pragmatique pour travailler avec, avancer avec des outils différents.

Le chapitre 6 « Leipzig-Grünau. Du renouvellement urbain à la Baukultur » qui traite de l’Allemagne est en l’espèce un procès d’intention fait aux urbanistes, en particulier sur les stratégies de rénovation des grands ensembles dans le contexte de la réunification. En considérant les énoncés du « nouvel urbanisme » du chapitre 16, on voit qu’il n’est pas nécessaire de passer par le prisme des échecs pour reconstruire après.

La ville qui fonctionne se sédimente, est réversible, et donc peut se transformer. Beaucoup d’échecs sont dus aux conceptions de la ville comme un projet fini…

Aurélie Jehanno pose une question en tant que jeune professionnelle : qu’est-ce que c’est que cette ville stratégique ? Dans certains cas, avoir des réseaux et former un certain tissu urbain, c’est déjà bien. Y’a-t-il un antagonisme entre des projections pour la ville et ces besoins primaires ?

Nicolas Buchoud, lui, ne pense pas qu’il y ait un urbanisme des pays riches et un urbanisme des pays pauvres, seuls les contextes sont différents (acteurs, financement). Mais dans les principes, la fabrication du nouvel urbanisme, comme l’approche intégrée des budgets et des projets n’est pas très compliquée. Au bout de la logique de globalisation, il peut y avoir les mêmes potentialités à Nouakchott qu’à Hambourg. Il faut se préparer à investir.

Un des points fondamentaux est le constat que les plans connaissent des échecs car ils sont formulés pour être appliqués mais sans l’être vraiment. La plupart du temps, le processus de développement urbain ne fonctionne pas ; surtout lorsqu’il n’y a pas d’autorité publique, même si la planification du Cameroun dans les années 1970 continue à structurer le développement urbain.

La réflexion qui a inspiré la ville stratégique est qu’il y a des types de planification qui ne donnent pas ce qu’on en attendait dans la production d’espace urbain. Il faut donc de nouveaux outils pour le futur.

Alejandro Alavilla, architecte chilien, développe dans la préface l’idée que plutôt que de faire des logements de 35m2 aménagés, on peut limiter les réalisations à ce que les gens ne sont pas capables de construire eux-mêmes (les pièces techniques, les plans de départ, des réunions de concertation…). Au final, ils ont une maison trois fois plus grande.

Claude Jamati intervient alors pour demander quelle est la thèse derrière « La ville stratégique » ? Est-elle pour ou contre la planification?

Nicolas Buchoud répond que « La ville stratégique » est un filtre pour comprendre les villes. La ville est conceptualisée par l’intelligence collective, l’inscription en réseaux pour corriger des erreurs, plus durable. Ce sont des processus qui sont décrits (en fonction des contraintes, ressources, but politique, conquête et modélisation des territoires).

D’où une question importante qui est celle de la formation. Il faut créer des professions dans des entre-deux méthodologiques, pour professionnellement pouvoir compter sur les ressources de ses pairs, et se constituer en réseau …