2003 Métiers et carrières de la coopération urbaine – Une histoire de la coopération urbaine

Michel Arnaud, architecte – urbaniste consultant, Ingénieur Ponts et Chaussées, AdP.

Michel Arnaud, en introduisant la journée, a ouvert le débat sur le renouvellement des experts et des métiers en dressant le tableau de l’évolution des métiers et carrières de la coopération urbaine, sa propre expérience à l’appui.

Un si long chemin…

Une fois n’est pas coutume : notre association sollicite chaque année une personne extérieure pour apporter une lumière originale sur le thème de la Journée. Cette année, sur un sujet qui est le nôtre, mes associés ont cru bon de me demander de faire l’exposé introductif. Naturellement parce que j’ai consacré la majeure partie d’une longue carrière au développement urbain dans les pays en développement – ce qui n’est pas tout à fait la même chose qu’à l’international, j’en conviens. Bien que j’ai pratiqué ailleurs que dans les anciennes colonies françaises et qu’en Afrique.
Ce que je vais dire n’engage que moi, ce qui est d’ailleurs bien triste !
Alors qu’on annonce partout le « siècle des villes » – au motif quelque peu racoleur que la moitié de la population mondiale vit désormais dans des agglomérations qualifiées d’urbaines, comme si une moyenne entre des pays largement urbanisés depuis un siècle et d’autres à peine engagés dans ce processus avait un sens – ; alors que la croissance urbaine reste soutenue dans de nombreux « pays en développement » – soit que la croissance démographique naturelle alourdisse un processus d’urbanisation encore modeste, comme en Afrique subsaharienne, soit encore que l’urbanisation y ait été longtemps freinée, comme en Chine – il peut sembler paradoxal que les carrières offertes aux jeunes et moins jeunes qui aimeraient se consacrer à la coopération urbaine soient si problématiques.
Et ce, en dépit des efforts faits dans ce pays, par les uns pour prodiguer et par les autres pour acquérir une formation de plus en plus spécialisée et diversifiée, en principe en fonction de l’évolution des problèmes à traiter.
Il faut donc chercher à comprendre les causes de cette situation. Il faut remonter loin dans le temps pour comprendre pourquoi et comment on en est là. Car faut-il encore qu’il y ait matière à assister ou coopérer, qu’on sache pour qui et pour quoi on intervient.
On ne fait pas carrière dans des métiers sans avenir.

La place de l’urbain dans la coopération française

Il y a d’abord l’évolution de la place faite au secteur urbain dans la coopération française.
L’urbanisme de la coopération française, celui que j’ai pratiqué au début de ma carrière, venait d’une longue tradition de l’urbanisme colonial. L’indépendance des Etats africains ne les a pas coupé de cette tradition. Il était l’héritier des Joffre, Gallieni et Lyautey et de leurs émules ; de l’urbanisme français en Indochine, à Madagascar, au Maroc, au Liban et en Syrie. Il s’apparentait à l’urbanisme des colonies espagnoles en Amérique. Et même à la tradition des colonies grecques et romaines du pourtour méditerranéen. Un urbanisme plus attaché à la forme urbaine et à l’organisation spatiale qu’au fond du développement urbain.
Un urbanisme colonial qui a été au cœur de la relance de l’urbanisme en France à la sortie de la seconde guerre mondiale, en mettant en œuvre ce qui avait été élaboré, expérimenté et formalisé au Maroc, pendant cette Guerre…. L’IUUP, le séminaire Tony Garnier de l’Ecole des Beaux Arts ou la formation à l’urbanisme de l’Ecole des Ponts et Chaussées ont développé et diffusé cette approche, l’ont enrichie d’approches historiques, géographiques, sociologiques ou techniques.
Un urbanisme qui ne subordonne pas nécessairement le développement urbain au développement économique, qui en reconnaît l’autonomie et le considère comme partie intégrante du développement au sens le plus large, sinon comme un moteur de la croissance économique – au même titre que le commerce international. Un urbanisme quelque peu formel, direz-vous, mais simple et facile à enseigner, facile à mettre en œuvre au point que nos petits topographes administratifs de Brazzaville ont su en faire métier, lorsque le Congo belge fut devenu indépendant, transportant leur compétence de l’autre côté du fleuve, pour faire face à la croissance phénoménale de Kinshasa et enseigner le lotissement romain, trouver un débouché pour le métier qu’ils avaient appris et faire carrière …. Ou que les services ont pu poursuivre dans les pays ( à l’opposé des complications internationales)

Coopération de l’offre ou de la demande

Depuis, le courant se serait renversé, il y a ceux qui pensent et répètent que la France a une offre à faire en matière de gestion et de développement urbain, parce qu’elle a eu à gérer, chez elle, une urbanisation relativement rapide après la seconde guerre mondiale. Je m’inscris en faux contre cette banalisation de la gestion urbaine – banalisation qui est celle des institutions internationales. J’ai toujours préféré, pour ma part, parler de la capacité d’une assistance à répondre à une demande caractérisée par des besoins, des moyens et des comportements des différents acteurs. Et donc d’abord, à comprendre cette demande, ce que la langue de bois de l’aide internationale n’a pas favorisé, en imposant son offre. A élaborer des réponses aux problèmes tels qu’ils sont posés et non à inventer, indéfiniment « des problèmes à nos solutions », selon la formule de David Baudet.
A cet égard, le développement urbain, ce n’est pas comme les routes ou les ponts – où il faut, certes, prendre en compte des données locales, climatiques ou économiques. La maîtrise du développement urbain doit s’inscrire dans les comportements sociaux locaux. Le développement urbain est un fait de société. Ce qui ne veut pas dire un fait d’anthropologie ou d’ethnologie statique : les sociétés évoluent, spécialement les sociétés des PED. Mais s’inscrire dans le changement sociétal est une gageure. Le coopérant ou l’assistant en développement urbain ne vient pas porter la parole ou l’expérience de la France ; il vient mettre sa compétence et son expérience au service d’un changement sociétal local. Il doit donc avant comprendre suffisamment la société locale pour être capable d’opérer ce transfert.
Je dis qu’il y a, en conséquence, autant de coopérations urbaines qu’il y a de sociétés ; que les sociétés anglophones d’Afrique ont même origine que les sociétés francophones ou lusophones mais que l’ère coloniale en a fait des sociétés différentes. Qu’on n’est pas efficace, en arrivant en Inde parce qu’on a été coopérant dix ans en Afrique ou vice-versa. Certes, on sera sans doute plus rapidement efficace dans un PED si on a passé des années dans un autre pays en développement que si on débarque de France, avec une expérience strictement française – car il faut d’abord avoir pris la mesure de la spécificité de sa propre culture, de l’étrangeté des autres cultures, de l’existence de logiques propres et différentes. Ce qui pose le problème de la gestion d’une carrière et donc d’un personnel de coopération. Ce que la coopération française n’a jamais voulu vraiment faire – même au temps du SMUH – et s’apprête sans doute à ne plus faire du tout.

La coopération française s’est laissé aller à des modes

Tout au contraire, l’international banalisé a pris le pas sur la coopération. Le formalisme sur le fond. Le Ministère des Affaires Etrangères a absorbé le Ministère de la Coopération sous la pression des tenants de la sortie de la période post-coloniale (comme s’il n’y avait pas toujours une compétition). L’Afrique francophone (vocabulaire inexact mais courant) s’est noyée dans les PED, les PED dans la coopération avec le reste du monde et l’Europe de l’Est en particulier. La coopération du Ministère des Travaux Publics s’est noyée dans l’appui aux entreprises françaises.
Mais aussi l’urbanisme dans le développement urbain. Le long terme dans l’action immédiate. L’approche structurelle dans l’action marginaliste et conjoncturelle – en témoigne la dénomination d’ajustement structurel. Le développement dans la lutte contre la pauvreté après avoir connu le biais urbain et la priorité au développement rural, comme si la pauvreté pouvait être sérieusement réduite sans le développement, ou le développement rural obtenu sans le développement urbain. Est-ce à dire que l’action pour le développement a été un échec ? Ou que l’effort patient d’acteurs expérimentés a fait place à l’impatience des « apprentis sorciers » ? L’échec d’une certaine conception du développement, sans doute, qui donnait la priorité à la modernisation, à l’industrialisation (y compris l’industrie industrialisante d’un de Bernis). Une revanche ?
La Coopération n’a jamais dit qu’elle partageait la thèse du biais urbain… mais elle n’a pas dit le contraire… Une sourde bataille entre secteur urbain et secteur rural a été entretenue et aujourd’hui que les instances internationales en reviennent ( cf ouvrage Beyond the urban bias), et qu’Istanbul a ouvert une brèche, elle n’est pas très à l’aise pour tirer profit d’une prise de position qui l’avantagerait.
Jean-Marie Cour a proposé une thèse différente de celle du biais urbain. WALTPS (West Africa Long-Term Perspective Study). Aucune structure de réflexion n’a été mise en place pour en débattre sérieusement … Au contraire des initiatives concurrentes, pour Istanbul notamment. Le Groupe Huit s’est systématiquement opposé aux propositions ECOLOC (pour raisons commerciales/BM) au lieu de travailler à les améliorer.
Elle s’est rangée à la lutte contre le pauvreté, misérabilisme qui sonne le glas du développement ! Faire de la pauvreté le fond de commerce de l’aide internationale. Avant c’était l’Environnement, Demain ce seront les biens communs de l’humanité … Alors qu’il existe et qu’on finance une recherche française….
Perte de toute autonomie de réflexion, perte de toute capacité de formation et d’intervention.
Certes, chacun s’accommode des changements de modes mais la carrière en devient fragile !

Personnel d’assistance technique

La France disposait, à la sortie de l’époque coloniale, d’une connaissance concrète des sociétés administrées. Elle disposait d’un personnel, public et privé, d’expérience. Elle ne s’est pas proposé de gérer cette expérience et surtout de la tenir à jour et de renouveler le personnel qui la portait. Il y a eu des tentatives, portées, comme il se doit, par des hommes conscients de l’enjeu ou gagnés par le jeu. Le SMUH, la SCET-Coopération puis SCET–International, le BCEOM ont entretenu longtemps des équipes et formé des hommes au travail en coopération. Mais on leur a imposé de plus en plus une gestion commerciale dans un domaine où le résultat est diffus. Leurs hommes ont essaimé. Le SMUH, devenu ACA, a disparu. L’ISTED a pris le relais avec une contrainte majeure, celle de faire valoir l’offre sur la connaissance de la demande, encore une fois.

L’AFD

Les coopérants sont devenus des contractuels en CDD. Livrés à leur client momentané. Seuls des individus ont tenu le flambeau. Ils seront bientôt éliminés. Non que je défende une position d’ancien combattant : les choses évoluent et les hommes doivent aussi évoluer. Mais c’est une chose de s’en remettre à l’adaptation des individus et une autre chose de gérer le changement – ce qui demande sans doute plus d’effort. Il faut en effet alimenter la connaissance, développer la capacité d’analyse de situations, l’évaluation des expériences, organiser le débat et assurer la diffusion des résultats …
Tous s’y sont employés, dans le plus grand désordre.

Coopération et compétence

Il y a une recherche urbaine française en PED. L’IRD, successeur du l’ORSTOM, poursuit son travail, avec des moyens inévitablement insuffisants. L’Université entretient des cycles de formation dans de nombreux domaines en relation avec le développement urbain et, dans ce cadre, permet à des enseignants de participer à la recherche. Il existe bien un Comité de Coordination de la Recherche en PED mais son fonctionnement, entre les mains de chercheurs, peine à produire une recherche adaptée à l’action. Il y a une formation de chercheurs et de praticiens dans nos universités et dans nos écoles, mais à cent lieues de l’action. Les chercheurs aiment bien leur sujet de recherche et la recherche fondamentale. Seul un organisme finançant la recherche peut exiger une recherche appliquée aux questions qui intéressent l’action entreprise, la coopération en l’occurrence, une recherche-développement. La diffusion des résultats de la recherche est publiquement appuyée mais l’incorporation de ces résultats dans un corpus cohérent de connaissance du développement n’est pas organisée et l’appropriation de ces résultats par les acteurs, publics et privés, de la coopération est laissée à l’initiative des intéressés. De même que les évaluations des actions entreprises sont rarement exploitées de façon conséquente. Il existe un fossé entre l’action, la formation et la recherche.
Tout se tient. Y a-t-il une analyse et une proposition française en matière de développement urbain dans les PED – qui ne soit pas « l’offre de l’expérience française en France » et qui justifierait en effet cet effort d’organisation. Et, s’il y en a une, les decision-makers de notre pays en sont-ils informés ou conscients ? Et, s’il n’y en a pas, y a-t-il lieu d’en dégager ou construire, pour parler d’une coopération française ? Si on estime que la France n’a rien d’original et de pertinent à dire en matière de développement des PED, si on pense qu’il est inutile de développer une capacité d’analyse et de propositions propre à une politique de coopération, qu’il faut adopter et mettre en œuvre les analyses et les propositions des organisations internationales …. il n’y a qu’à verser le budget de la coopération à une organisation internationale ; et s’occuper de peser sur l’activité de cette organisation à proportion de notre contribution. Irions-nous dans l’avenir à reculons, après l’avoir tant reproché aux autres.
Nous ne savons toujours pas quelle est la position de la Coopération française à l’égard du développement urbain. Aucune réflexion cohérente n’a pu être engagée. Le poisson est noyé dans le développement durable, dans l’environnement ….and so on. Toujours une lutte sournoise entre tenants de la priorité du développement rural et les autres. Des chapelles.
Nous devons saluer le courage et la persévérance des responsables successifs du Bureau du Développement urbain au Ministère de la Coopération.

De nombreux soldats ne font pas une armée

Et pourtant. Si on additionne les individus qui se consacrent, en France, à la connaissance ou à l’action dans le domaine du développement urbain des PED – universitaires, chercheurs, praticiens du secteur public et du secteur privé, de bureaux d’études et d’organismes non gouvernementaux, acteurs de la coopération décentralisée … on trouve plus de deux cents personnes – qui ne se connaissent presque pas, qui travaillent rarement ensemble ! Parmi lesquelles les relations sont devenues personnelles pour résister à l’anarchie ambiante. Comment ce potentiel humain est-il géré ? Nullement. Peut on espérer, dans ces conditions qu’il se développe et que ce développement offre des carrières intéressantes ?
La profusion des organisations atomisées et leur obstination à développer des visions divergentes de l’aide au développement, de l’ultralibéralisme au tiers-mondisme attardé est sans doute un gage de diversité. Est-ce un gage d’efficacité face aux organisations étrangères ou internationales mieux structurées ? Des colloques en grand nombre, sur des sujets voisins, sinon identiques, soutenus par la mode ambiante : Association Internationale des Maires Francophones (AIMF), ADP, ACT…. Des compétitions qui reflètent davantage les fractures à l’intérieur de la société française, des positions idéologiques que des analyses différentes de la réalité des PED. Faisant fi du fait qu’hors de nos frontières il y a une compétition internationale, dans laquelle la Maison France se présente en ordre dispersé !
On a périodiquement évoqué la nécessité de fusionner tous les morceaux de notre dispositif de coopération au sein d’une Agence – à l’image de la GTZ allemande, p.e.. L’évolution de la Caisse Centrale de Coopération est allé, un peu et très prudemment, dans ce sens.
A mon opinion, c’est une solution de facilité : rendre un système performant ne consiste pas nécessairement à créer un mammouth. Et le système de coopération est complexe et multiforme. Il faut organiser des relations, développer des synergies, faire passer un unique sang dans ce complexe, lui donner un système nerveux central. Quid du CHCI ?

Les multiples espaces du métier

On a critiqué la coopération de substitution, on a préconisé la coopération par projet…. pour constater qu’il faut des assistants permanents pour animer ces projets (et contrôler leur mise en œuvre au moins financière), n’importe leur statut. Ou encore que les structures de projets créent des enclaves dans l’institution locale, des jalousies de ceux qui n’en sont pas, que le « transfert d’apprentissage » (learning by doing) des structures de projet vers les administrations ne se fait pas… on recolonise l’administration sous des formes cachées (le Plan ou les Finances). Puis critiqué la coopération par projets et préconiser la coopération institutionnelle (par des institutions qui n’ont guère d’expérience dans le champ de la gestion urbaine).
Comme tout métier, le nôtre doit s’ouvrir sur l’étranger. Les interventions en France ont beaucoup à y gagner. De retour du Mali, en 1959, un camarade PC voyait bien le retard pris par ses collèges français, marqués par la technique de l’assainissement unitaire, en matière de gestion des eaux pluviales.
Les organisations françaises ne sont pas le seul lieu de développement d’une carrière à l’international. Les lieux se sont multipliés. Mais comment penser que la place des français dans tous ces lieux ne dépend pas de la production de compétence par les instances françaises ? Comment une carrière ne commencerait-elle pas dans des organisations françaises, pour l’essentiel ?
L’ADP n’est pas un syndicat. Comment pourrait-elle l’être alors qu’elle s’efforce précisément de rassembler des praticiens qui travaillent dans différentes structures et sous différents statuts ?
En ne soutenant pas de façon plus conséquente les intervenants français dans la coopération urbaine, le Gouvernement a provoqué la disparition des grands bureaux d’études français du secteur. Il a imposé aux praticiens de se mettre sur le marché du travail des instances internationales, sans pour autant apporter l’appui requis pour cela… ;la coopération n’est pas une aventure commerciale. Si elle rapporte, c’est à moyen ou long terme.
L’Afrique n’est pas un pré carré de la France, mais c’est le versant sud de la Méditerranée, l’hémisphère sud de l’Europe.
Le Ministère de la Coopération a financé un travail de concertation, réunissant des chercheurs et des praticiens … une fois. Le document n’a jamais pu être traduit en anglais ni l’objet d’un marketing consistant : comment penser qu’il puisse avoir un impact sur les orientations des instances internationales.

Le virage d’Istanbul et l’Alliance des villes pour lutter contre la pauvreté

Istanbul a marqué un virage …. Plus cependant celui de l’entrée en scène des collectivités urbaines pour la gestion des affaires publiques (relais de l’Etat) que le retour à un urbanisme opérationnel.
Istanbul a marqué un tournant. Les anglais ont mobilisé d’importants moyens universitaires pour tirer parti de ce tournant. Ils ont su produire, sous le timbre du CNUHE et sous titre de Habitat II + 5, une thèse cohérente du développement urbain , répondant à leur analyse du développement urbain …. Rien chez nous : une représentation dispersée.
Je prétends que sa mise en œuvre ne demande pas de transferts financiers importants du N vers le sud. Le développement produit de la richesse, il n’en consomme pas ! Des crédits, certes, concessionnels sans doute. Mais la France et l’Europe, d’ailleurs, l’Allemagne avant elle ont su fabriquer de telles ressources …
Lutter contre la pauvreté sans créer de richesse ?

Coopération et formation

Certes nous savons qu’il n’est plus question de faire carrière dans la coopération française … mais la mise à l’étrier ? autrefois VSN puis service civil ; ONG ? L’effort demandé au MAE : pour permettre à des jeunes d’accompagner un senior dans les missions, parce que c’est au cours des missions que le métier peut le mieux et le plus vite se transmettre.
Enfin ne pas écarter l’idée que c’est à chacun d‘assurer sa formation continue. Là moins qu’ailleurs il est loisible de s’en tenir à ce que l’on a appris sur les bancs d’une école ou à sa seule expérience personnelle … Il faut lire et débattre. S’inscrire dans des programmes de recherche bénévoles. Encore faut-il que cela permette de mettre en pratique.

Le compagnonnage

Gérer le marché de la coopération

Je ne veux pas dire que l’exercice de notre métier est limité à l’intervention française, voire européenne dans le secteur urbain des PED. On doit admettre qu’une carrière se fait aujourd’hui à travers de nombreux canaux. Mais il est toujours préférable de participer activement au développement du marché que l’on souhaite exploiter. Le vrai marchand est celui qui crée le besoin qu’il se propose de satisfaire. Regardons nos voisins anglais. N’importe leur théorie du développement. Ils ont su organiser une relation étroite entre université et gouvernement, (Department for International Development (DFID) et London University College (LUC)) pour produire de la théorie et mettre les moyens pour la diffuser auprès des instances internationales, CNUHE et BM. Sans doute la coopération anglaise d’appuie-t-elle sur un puissant secteur d’ONG (Oxfam…) qui fait la spécificité du nord du Nord. Qui contribue autant et plus qu’elle ne s’accommode des thèmes comme la pauvreté et retire bénéfice de cette relation étroite. Notre collègue Biau a dû se détacher de la France à Nairobi pour y faire carrière (brillante) – parce que la France n’alimentait plus la réflexion du CNUHE et ne pouvait donc le soutenir.
La filière coopération décentralisée, spécificité française, est aussi porteuse, dans le secteur urbain, que celle des ONG. A chaque organisation son rôle : l’Etat pour appuyer des gouvernements, des collectivités françaises pour aider des homologues, les ONG pour aider la société civile. Non pas mais complémentarité. Car l’Etat ne sait guère ce qu’est la gestion urbaine ni les ONG ce qu’est la gestion publique. Les CL françaises disposent d’importants moyens de formation. Elles n’ont pas pris leur autonomie dans la coopération. Certes, elles développent une intense relation avec les collectivités des PED (en Afrique mais aussi en Asie et en Amérique Latine). Certaines ont su prendre la perche tendue par l’Europe (ASIA-URBS) mais elles peinent à développer une autre approche que la transposition des approches franco-françaises de l’hexagone. C’est une impasse. Seuls quelques individus qui s’efforcent de se consacrer à l’action internationale de leur ville peuvent développer un vrai savoir-faire, une expérience indispensable pour rendre un réel service. Nul doute que certaine pratiques françaises sont transposables mais tout est dans la capacité à adapter pour transposer effectivement. Et, en dépit des appels faits par le Bureau Urbain du ministère de la Coopération, ces collectivités n’ont pas mis en place un dispositif commun pour spécialiser des personnels, accumuler cette expérience, elles n’ont pas tissé de liens avec des centres de recherches appropriés …
La France (l’Etat) entre les collectivités locales françaises et l’Europe : quel rôle ? aide les collectivités locales à développer leur action internationale.
Informer correctement l’opinion publique française. On sait que la population française est favorable à cette action mais elle est très mal in formée. Confusion entre appui au développement et aide humanitaire. Entre appui à la création de richesses et charité paupériste éloignée du développement. Pas de schéma du développement. L’information est médiocre. Comparée à la production belge ou allemande de courts métrages TV sur l’aide au développement, la production française est infime. Et les films belges ou allemands passent surtout au milieu de la nuit ! Ils sont européens.
Au vrai, le marché à conquérir, n’est-il pas, avant tout, celui des PED et, plus précisément celui des responsables urbains dans ces pays – plutôt que celui des bailleurs de fonds, français ou multilatéraux ? L’urbanisation des PMA se poursuivra, bon an mal an, indépendamment des points de vue des bailleurs et dans un monde de 8 à 9 milliards d’habitants, dont 5 ou 6 dans les PED – au sud – les villes du sud finiront évidemment à représenter 60% de la population urbaine mondiale. Même les chinois, si longtemps opposés à l’urbanisation, ont fini par l’admettre. L’objet de la coopération urbaine, n’est-ce pas de faire en sorte que l’urbanisation de ces pays – qui est accélérée par la mondialisation (celle des esprits autant et plus que celle des biens matériels) – se passe aussi bien que possible – i.e. que la pauvreté (qui résulte aussi de la confrontation de ces sociétés avec celles des pays avancés) y soit supportable et digne, tant qu’elle est là – et non d’imposer, sous le couvert de l’aide, nos idées et nos façons de voir le monde.
L’aide internationale diminue-t-elle ? à la limite c’est mieux ainsi car elle n’est pas et ne sera jamais à la hauteur des besoins de financement de l’urbanisation du tiers-monde (5% par an). Il faut de toutes les façons que les sociétés concernées bâtissent leur financement autonome du développement urbain et développent leur capacité à recourir au marché financier international …Et, même réduite, l’aide bilatérale et multilatérale est assez importante pour financer la coopération technique, l’exportation des métiers et des compétences – si les bailleurs et la France, pour ce qui nous concerne, en reconnaissent l’importance. Dans cette coopération déliée de l’aide financière à l’investissement, l’allégeance au financier laisse la place à la compétence. On a beaucoup parlé de l’aide financière déliée de l’investissement .. ; ne doit-on pas parler aussi de délier la coopération technique de l’aide financière financement.
Et la coopération décentralisée me paraît un cadre (un support) beaucoup plus propice à cette compétition que celle des Etats (trop volatile et, pour tout dire, inévitablement géo-politisée), des organismes internationaux (trop manichéens et trop sûrs de leur bon droit) et des ONG – même si les uns ont leur place comme les autres. En se mondialisant (se banalisant), le système français se donne les moyens d’intervenir dans le reste du monde – moins contraint à exporter des solutions françaises – sans pour cela se priver de l’expérience française mais sans la considérer comme le seule valable, ni surtout ne connaître qu’elle. A un conseil d’administration qui lui demandait ce qu’il fallait faire pour exporter davantage le matériel téléphonique français, le directeur du CNET (aujourd’hui France Telecom Recherche et Développement) d’alors a répondu : il faut adopter des normes qui correspondent à la demande du reste du monde.
On a peut–être perdu une (ou deux) bataille, on n’a pas forcément perdu la guerre. Le chemin est encore long ! Il faut s’organiser…