Apéro-ReX n°2, mars 2021

Vidéo-conférence, 25-03-2021

 

Thème et animation

« Régularisation foncière sans déplacements. Réflexions sur les outils de dissociation de propriété foncier-bâti. »

Présenté par : Pierre Arnold : pierre.arnold@urbamonde.org | urbamonde.org | co-habitat.net

Introduit et commenté par : Anne Burlat

Synthèse de l’intervention

Après une brève présentation du chemin qui l’a amené à s’intéresser au CLT (Community Land Trust) du Caño Martin Peña (CMP) à, San Juan, Porto Rico et à s’y rendre en 2017 et 2019, après que ce CLT a reçu le Prix Mondial de l’Habitat de World Habitat, Pierre présente la genèse de ce projet, les clés identifiables aujourd’hui de son succès :

  • La démarche a été initiée en 2002 par les autorités de l’Etat de Porto Rico dans le cadre de la remise en navigabilité du canal qui relie la lagune de San Juan à l’océan, progressivement remblayé au cours du XXème siècle pour construire les quartiers populaires du Caño Martin Peña (habitat informel consolidé au fil des années, avec accès à électricité, eau, asphalte);
  • Des projets de régularisation foncière à travers des titres individuels de propriété et des relogements vers des logements sociaux avaient déjà eu lieu dans des quartiers voisins et les habitants du CMP ont constaté par eux même les processus de gentrification engendrés du fait de l’importante valeur foncière de la zone une fois régularisée ;
  • Un temps de deux années consacrées à l’empouvoirement de la communauté grâce à l’initiative de deux fonctionnaires qui ont cherchés à ce que la solution soit construite par la communauté, et non imposée. A travers des démarches d’éducation populaire et l’accompagnement d’universitaires, la population choisit de créer un CLT que les textes juridiques permettaient à Porto Rico (code civil espagnol, cadre juridique américain) ;
  • Le projet de loi pour le district de planification spéciale du CMP est approuvé en 2004 et crée une corporation publique de développement (ENLACE) et le CLT.
  • Le foncier (80ha initial) occupé par 1500 logements est concédé au CLT par l’Etat.

et les principes d’un CLT :

  • Une propriété commune, gérée par une gouvernance répartie entre trois types d’acteurs : des représentants de la puissance publique (souvent le niveau municipal et/ou régional/étatique), des résidents, des citoyens concernés (souvent issus du voisinage ou d’organisations communautaires actives dans le secteur) ;
  • Chaque habitant reçoit un « titre de droit de superficie » ;
  • Avec pour objectif de permettre à chacun de rester habiter sur place, avec un droit réel reconnu mais sans avoir la possibilité de capter la plus-value foncière résultant de l’opération de vente, en cas de départ. La revente de la construction et du titre de droit de superficie est contrôlée par le CLT et n’engendre pas de pluvalue, ce qui bloque l’éventuelle spéculation foncière et gentrification de ces quartiers bien situés.

Ainsi, le CLT de porto Rico initié en 2004 après deux années de co-construction initiée par la puissance publique, mais largement approprié par les résidents et leaders communautaires :

  • A été réalisé sur une trame urbaine existante qui ne dispose pas encore d’assainissement,
  • Concerne environ 1500 logements au total, dans un périmètre de 25 000 habitants (car certains ont des titres de propriété individuelles qu’ils peuvent néanmoins choisir d’intégrer au CLT qui rachète le foncier et lui donne un titre de droit de superficie),
  • Le processus de relogement des familles qui vivent au bord du cours d’eau est très lent. Il est actuellement en cours pour une centaine de familles.

Pierre a travaillé depuis 2012 sur les questions de l’habitat populaire et les politiques du logement et a rejoint le CA de l’association UrbaMonde-France créée 2016 (structure sœur d’urbaMonde Suisse). Il est donc engagé dans les problématiques de foncier non-spéculatif. De manière plus large, il nous indique que :

  • Les CLT sont issus du monde anglophone : approximativement, 260 aux USA, 300 au Royaume uni et une vintgaine au Canada et une demi-douzaine en Belgique https://cltweb.org/resources/clt-directory/;
  • Le CLT de Voi, au Kenya n’a pas su aboutir, le foncier n’ayant pas été transmis comme convenu par l’institution nationale et le temps pesant (plus de 10 ans), les habitants se sont désengagés petits à petits (cf le cas présenté dans l’ouvrage de Claire Simonneau et Eric Denis C.Simmoneau, E.Denis, « Communs fonciers pour l’habitat dans les Suds », AFD, décembre 2020  ;
  • Actuellement, deux autres CLT sont en projet dans des quartiers informels. L’un au Bengladesh (Dhaka) sur la demande de réfugiés issus de minorités (Bihari) dont la situation résidentielle est très précaire. L’autre au Brésil (Rio de Janeiro), dans une favela très bien située qui se gentrifierait très vite si elle était régularisée à travers des titres individuels.

Points abordés lors des échanges suivant l’intervention

  • Potentiel important de la régularisation non spéculative à travers des CLT ou autres solutions locales à créer, en particulier dans les contextes dans lesquels la régularisation ou cession de foncier à travers des titres de propriété peuvent entrainer une rapide substitution des populations cible de la politique par des classes plus aisées (gentrification, accaparement de terres de valeur, extorsion…).
  • L’importance de laisser le choix aux populations et non d’imposer une solution miracle. Mais de bien faire comprendre les possibilités et risques de chaque type de tenure foncière, que ce soit pour de la régularisation ou construction neuve.
  • La nécessité de texte législatifs permettant de mettre en place ce type de dispositifs. En France la loi ALUR a instauré les OFS (Organisme de foncier solidaire) bien qu’il n’y ait pas de composant obligatoire en terme de participation des résidents/communauté à la gouvernance de ceux-ci contrairement aux CLT.
  • De quelle manière un professionnel du développement urbain peut favoriser ce type de processus ? => mieux connaitre les alternatives à la dichotomie propriété individuelle vs locatif privé ou social, de façon à pouvoir trouver des solutions adaptées à chaque contexte avec les acteurs locaux et les habitants.
  • Le CLT est-il utilisable dans le cadre de l’extension urbaine ? Discussion élargie aux « trames de voiries non assainies » chères à Michel Arnaud ;
  • A priori, la nécessité d’un terrain à fort enjeux foncier : les habitants ne peuvent souhaiter/accepter un CLT que si un risque de déplacement existe. Cela ne paraît pas utile dans le cadre de terrains de mauvaises qualités, sans services, éloigné des zones d’emplois, parfois ciblés pour le relogement de populations et où il n’y a pas de risque de gentrification ou déplacements forcés de la population car ils n’ont rien d’attractif.
  • Discussion autour de l’idée de Michel Arnaud que pour les pauvres qui vont arriver dans les villes, il faut des parcelles tracées mais non assainies dans des endroits qui n’intéressent pas le marché, pour éviter une croissance anarchique… Au contraire, le CLT permet de sortir de la spéculation des terrains bien placés pour que des familles modestes puissent construire, travailler, vivre et prospérer non pas dans les pires endroits mais là où la ville a du sens et du potentiel de se densifier. Cela nécessite de la volonté politique, des urbanistes et des juristes qui osent innover et font le choix de la ville abordable pour tous et non pas de la ville ségrégée.
    La nécessité pour un CLT d’être adossé à un organisme public, sinon lui-même n’est pas en capacité d’investir ;
    La question des quartiers où le locatif prédomine aider les locataires qui y vivent avec un droit de superficie qui leur permet d’avoir une sécurité foncière et de prospérer, plutôt que les propriétaires marchands de sommeil qui louent des terrains sur lesquels ils n’ont finalement pas forcément plus de droits formels que les locataires puisqu’il s’agit de quartiers irréguliers. Eventuellement compenser le propriétaire bailleur, mais surtout protéger le propriétaire-occupant ou le locataire qui a un intérêt pour vivre à cet endroit (emploi, insertion sociale/communautaire, regroupement familial/ethnique, etc.).

Liens et références

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(A venir…)