Bulletin n°116

Agglomérations portuaires du golfe de Guinée : défis de croissance

Yann Alix est délégué général de la fondation Sefacil, laboratoire d’idées prospectives sur les stratégies maritimes, portuaires et logistiques.
Ses travaux portent sur la gestion et les stratégies d’entreprise des secteurs maritime et portuaire, sur les relations ville - port et sur les couloirs de transport des marchandises/chaînes de transport, notamment sur les continents africain et sud-américain.

Embouteillages sur la route nationale 1 à la sortie de l’agglomération d’Abidjan©Yann Alix
Embouteillages sur la route nationale 1 à la sortie de l’agglomération d’Abidjan
©Yann Alix

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Tout commence par une route. Ce titre d’un article publié par la Banque mondiale en 2013 constitue une forme de syncrétisme du perpétuel défi de développement que portent la plupart des villes portuaires africaines (Banque mondiale, 2013). Planifications territoriales et géopolitiques d’inspiration coloniale, les villes portuaires africaines ont toujours constitué des gateways, c’est-à-dire d’incontournables portes d’entrée (population, marchandises, capitaux) et surtout de puissants écosystèmes pour expédier les produits des cultures agricoles et forestières d’exportation, les matières premières minières, etc.
Sur le corridor Abidjan-Lagos, qui fait l’objet d’une initiative particulière depuis 20 ans (ALCO, 2022), les métropoles d’Abidjan, Côte d’Ivoire, de Téma, Ghana, Lomé, Togo, Cotonou, Bénin, et de Lagos, Nigéria, s’imposent comme les plus importantes concentrations urbaines et portuaires de chacune des cinq nations. Souvent qualifiés de poumons socio-économiques nationaux, ces systèmes protéiformes et complexes constituent une forme de paradoxe.
D’une part, ils sont les points focaux de corridors et de routes censés fluidifier les circulations entre l’espace maritime et l’espace terrestre. De l’autre, ils s’apparentent à des « trous noirs socio-économico-politiques » qui ne cessent de renforcer leurs pouvoirs centripètes et centrifuges au point de devenir comme Lagos de véritables goulets d’étranglement (Alix & Deau, 2021). De ces réalités structurelles se dégagent deux triptyques qui résument les principaux défis de croissance des agglomérations portuaires subsahariennes.

Le triptyque mobilité – sécurité – durabilité
Qui n’a pas été dans un embouteillage inextricable à Lagos par 40 degrés ou bloqué en fin de journée sur le pont Houphouët-Boigny à Abidjan ne peut saisir combien la sécurisation et la durabilité des déplacements sont devenues des problématiques essentielles dans les agglomérations portuaires subsahariennes. À Abidjan, l’autorité portuaire travaille avec les édiles publics pour organiser des circulations nocturnes et alternées des camions afin de désengorger les artères principales aux heures de pointe. À Téma, une route de contournement permet de ségréguer une partir des flux de fret des circulations pendulaires riveraines. À Lagos, plus de 20 millions d’habitants, les conteneurs empruntent des barges fluvio-maritimes pour sécuriser les pré- et post-acheminements. À Cotonou, l’autorité portuaire a travaillé de concert avec la ville pour réaménager le boulevard de la Marina, artère vitale qui interconnecte le port et la ville.

Toutes ces initiatives attestent l’impérieuse nécessité de revoir les plans de circulation et d’urbanisme, de moderniser les infra-structures existantes tout en finançant d’ambitieux programmes de constructions (Pescatori, 2022). Pour le seul cas d’Abidjan, un 5e pont et un métro visent autant à réduire les actuelles congestions métropolitaines et portuaires qu’à anticiper les conséquences des futures croissances. Des systèmes de transport plus fluides et modernisés sont de facto des solutions pratiques aux pollutions en tous genres.
À titre d’exemple, le groupe Bolloré promeut une électrification de ces matériels sur tous ses terminaux du golfe de Guinée. La sécurité énergétique constitue un défi majeur de croissance, dans la perspective à long terme de réduire les émissions totales de GES des agglomérations portuaires africaines. Le port autonome de Cotonou s’est doté d’une stratégie de développement durable qui implique l’ensemble des acteurs de sa communauté d’affaires. Le port autonome d’Abidjan travaille pour une réduction de ses consommations fossile et électrique.

Le dossier de la sécurité physique, économique et sociale est aussi sensible dans des concentrations métropolitaines où le secteur informel prédomine. Les autorités portuaires contrôlent des domaines fonciers où les implantations illégales de popula tions précaires constituent un point noir des interfaces ville-port. À Téma, des concertations et travaux de conciliation ont permis d’organiser le déplacement de populations en dehors des terrains dévolus aux activités portuaires. Des politiques conjointes, concertées et durables entre les autorités portuaires et les édiles métropolitaines, sont toujours à consolider dans la plupart des cas.

Terminal à conteneurs. Port autonome d’Abidjan, zone industrielle de Treichville ©Yann Alix

Terminal à conteneurs. Port autonome d’Abidjan, zone industrielle de Treichville ©Yann Alix

Le triptyque compétitivité – attractivité – rentabilité
Dans la fécondité croisée des croissances portuaire et métropolitaine, les questions de compétitivité-attractivité-rentabilité sont au coeur des politiques publiques et des intérêts privés. Sur le corridor Abidjan-Lagos, chaque État cherche à attirer et fidéliser les investisseurs africains et mondiaux tout en rendant toujours plus attractives ses métropoles.

Comparaison par pays de l’évolution du trafic de conteneurs (2010-2021)

Tous les ports du corridor font l’objet de projets d’extension de leurs installations qui doivent nécessairement s’intégrer dans les projections de croissance des ensembles métropolitains qui les « hébergent ». Car à la question insoluble de qui a fait la ville du port et inversement, il n’en demeure pas moins que les rentabilités écosystémiques de ces grands ensembles constituent l’un des plus grands défis du futur.
Impossible à qualifier et quantifier, la rentabilité de ces ensembles complexes se mesure cependant sur la compétitivité de l’ensemble portuaire, l’attractivité des quartiers d’affaires ou encore les aménagements logistiques aux périphéries. C’est notamment le cas de Lomé avec la plateforme industrielle d’Adétikopé, située à 15 kilomètres des quais du port, ou des développements manufacturo-logistiques des zones PK23/24 au nord de l’agglomération d’Abidjan.

Créer de l’emploi et des activités économico-logistiques en délestant les congestions intra-métropolitaines via l’implantation de nouveaux centres secondaires : telles sont quelques-unes des solutions qui exigent une co-construction entre les parties prenantes publiques, privées et sociétales. Génératrices de valeurs ajoutées directes
et indirectes, ces plateformes nourrissent les croissances métropolitaine et portuaire sans nécessairement en augmenter les externalités négatives sur le long terme.

Références :

https://www.banquemondiale.org/fr/news/opinion/2013/11/12/It-all-starts-with-a-road
https://www.corridor-wa.org/index.php/fr/presentation
Alix, Y., Deau, A, 2021. Anticiper la congestion métropolito-portuaire. « Perspectives portuaires africaines » n° 2. 4 p.
Pescatori, V., 2022. Afrique : la transition des villes-ports. In « Ports, villes et transition ». Points Fnau n°13. P. 59-61.
N’Guessan, A., Cordel, D., Coulibaly, K., 2021. Les Ports secs : outils d’accélération socio-économique en Afrique atlantique. Collection « Afrique atlantique ». Tome VI. Fondation Sefacil. 300 p.