Bulletin n°115

Le foncier solidaire, réponse à la crise du logement en Europe

Calico, habitat groupé intergénérationnel, à Forest. 34 logements, locaux, espaces et jardin collectifs. © CLT BRUXELLES
Calico, habitat groupé intergénérationnel, à Forest. 34 logements, locaux, espaces et jardin collectifs. © CLT BRUXELLES

Téléchargez le bulletin complet

Le programme européen Interreg – Sustainable Housing for Inclusive and Cohesive Cities1 – s’est clôturé fin 20212. Lauréat des prestigieux Regiostars Awards 2020, il visait à accompagner la montée en puissance des CLT par la capitalisation, le soutien à des projets pilotes, la réflexion sur le financement et la mise en place d’un réseau européen.
Émilie Maehara, directrice exécutive adjointe du Fonds mondial pour le développement des villes (FMDV), qui a copiloté ce programme avec d’autres organisations en Europe3, nous présente le mécanisme de soutien et de développement des community land trusts (CLT) – ou organismes de foncier solidaire (OFS) – dans les pays de l’UE.

Depuis les années 2000, on observe une augmentation forte et continue des prix du logement en Europe, en particulier dans les centres urbains denses. Dans les pays de l’OCDE, un tiers des locataires consacrent plus de 40 % de leurs revenus au logement4. Les institutions européennes reconnaissent que les objectifs de lutte contre la financiarisation du marché du logement et d’accès à un logement abordable pour les classes modestes et moyennes sont des enjeux majeurs. À cela viennent s’ajouter les priorités grandissantes de réduction des gaz à effets de serre pour le secteur de la construction qui représente à lui seul près de 40% des émissions en Europe.

Les CLT gagnent ainsi une reconnaissance internationale5 croissante en se déployant dans plusieurs pays comme un modèle pour répondre à ces enjeux6. On estime qu’il existe à ce jour 170 organismes de CLT/OFS en Europe. Les projets en cours prévoient la construction de 1 500 à 1 700 logements par an7. La France et la Belgique sont les pays où les cadres juridiques et de financement des CLT sont les plus avancés.

En France, les lois Alur (2014) et « Pour la croissance et l’égalité des chances économiques » (2015) ont introduit les OFS et le bail réel solidaire, visant à créer un parc de logements en accession sociale à la propriété pérenne, maintenu abordable financièrement sur le long terme pour les ménages aux revenus modestes éligibles.
La Banque des territoires propose le prêt Gaïa long terme pour le financement de l’acquisition du foncier par les OFS. Les OFS français développent des logements en accession à la propriété, plutôt ciblés sur les classes moyennes. L’objectif national de créer de nouveaux logements sur le modèle du bail solidaire est fixé à 20 000 d’ici 20248. Quant à la région de Bruxelles Capitale, elle a récemment octroyé un taux de TVA préférentiel de 6% contre 21% aux projets CLT.

Des biens communs aux formes variées pour un modèle plus inclusif et résilient
Nés aux États-Unis dans les années 60, les CLT sont des organismes à but non lucratif, locaux et démocratiques, dont le mandat est de produire et gérer des logements abordables. Développés par des collectivités ou des organisations locales, l’objet des CLT est de dissocier le prix du bâti de celui du foncier – décote de 20 à 50 % par rapport aux prix du marché libre, afin de préserver l’accessibilité des logements.

Ils prennent des formes diverses. Néanmoins, le modèle repose nécessairement sur un financement public, en particulier au moment de l’acquisition du foncier. Les logements construits sont ensuite mis à disposition soit par la location, soit par l’accession sociale à la propriété. En France, par exemple, le ménage preneur occupe le bien à titre de résidence principale et est propriétaire de droits réels immobiliers qu’il peut revendre, donner ou transmettre par voie de succession. Lorsque le foncier est utilisé pour une opération locative sociale, le bailleur s’engage à louer le bien sous plafond de ressources et de loyers. À noter, le modèle CLT n’est originellement pas centré sur l’accession à la propriété, il promeut divers modes d’occupation (location, coopératif, propriété partielle…) mais les modèles qui rencontrent le plus de soutien de la part des autorités publiques sont a priori ceux tournés vers l’accession (par ex. l’OFS).

Les CLT aspirent à développer la vie en commun, visent mixité sociale, intergénérationnelle et fonctionnelle. La majorité d’entre eux cible des ménages issus de minorités ethniques et des populations fragiles – par exemple des personnes handicapées ou des personnes âgées.

Portrait : habitants du CLT. © CLT Bruxelles

Portrait : habitants du CLT. © CLT Bruxelles

CLT Bruxelles a mis en place Calico8, qui comporte une maison de naissance et de mourance et des appartements destinés à des familles nombreuses, dans une approche intergénérationnelle, d’ouverture au quartier et d’attention au genre. D’autres projets gérés par le CLT Bruxelles intègrent des activités d’économie sociale et solidaire de proximité, tels que des boulangeries, des marchés coopératifs ou location des espaces communautaires.

Défis et opportunités pour les CLT
Si le modèle suscite un grand intérêt et d’autres initiatives d’habitat collaboratif ont adopté des modes de fonctionnement similaires notamment en Suisse, en Espagne, en Italie, en Europe centrale et du Sud-Est, les CLT sont confrontés à des défis importants : environnements juridiques et financiers inadaptés ; difficultés pour financer le foncier ; difficultés de faire connaître le modèle ; manque de capacités techniques, etc.

Le réseau européen des CLT poursuit ses échanges en vue d’un élargissement, d’un renforcement structurel et financier et d’une reconnaissance accrue du modèle. L’objet sera entre autres de doter les CLT d’un instrument financier propre, notamment par la mise en place de campagnes de plaidoyer menées au niveau national et européen.