Bulletin n°112

Pépinières urbaines, une démarche expérimentale

Construire avec ses partenaires des solutions partagées avec et pour les populations, c’est le mode opératoire de l’AFD. Membres de la division développement urbain, aménagement, logement de l’agence, Marie-Alexandra Coste et Chloé Pinty, toutes deux responsables équipe projet, nous présentent les « pépinières urbaines » expérimentées en Afrique.

Pépinière urbaine
Pépinière urbaine à Ouagadougou ; atelier de co-conception.

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Les séquences habituelles du pro-jet urbain s’étendent sur une dizaine d’années et cantonnent souvent la concertation des habitants et usagers aux phases de diagnostic pour tenter de qualifier les besoins. Pourtant, à l’issue des études – faisabilité, programmation, conception – puis des travaux, il n’est pas rare de trouver des équipements ou aménagements sous-utilisés, voire rapidement détériorés, alors que les attentes des citoyens sont, elles, toujours d’actualité. Ce décalage de temps et de résultat peut devenir source de frustration et de défiance de la société civile vis-à-vis des autorités publiques. Le constat interroge : la maîtrise d’ouvrage peut-elle interagir dans un climat de confiance avec la population sur la durée du projet urbain tout en tenant des échéances électorales qui rythment son mandat ? Comment les habitants, usagers et acteurs économiques locaux peuvent-ils participer concrètement à la production de la ville ? Comment les bailleurs peuvent-ils accompagner cette transformation de l’action publique vers un phasage des interventions et des pratiques de concertation innovantes ?

Le concept de « maitrise d’usage » apporte des éléments de réponse à ces problématiques en mettant les usagers, les habitants ou encore les acteurs économiques locaux au cœur de la conception. Ce concept est expérimenté depuis 2018 par l’AFD à travers la démarche de la pépinière urbaine, conçue comme un outil d’expérimentation au service d’un projet urbain de long terme. Il s’agit d’encourager une conception de projet urbain à partir des usages et de l’observation d’aménagements tests. Les allers-retours entre concepteurs et constructeurs sont ainsi beaucoup plus rapides et permettent d’enrichir le contenu du projet. Durant les phases d’études, des aménagements transitoires peu coûteux sont co-conçus et co-construits, tels un prototype du futur projet. Les usages y sont alors observés et leur analyse devient un élément constitutif des études de programmation et conception.

De la Tunisie au Burkina Faso
La première pépinière urbaine, en Tunisie, appuie les programmes nationaux de réhabilitation des quartiers précaires. Elle vise à susciter des initiatives citoyennes (sport, propreté, aménagements) sur des espaces où la maitrise d’ouvrage n’intervient pas aujourd’hui (espaces publics et verts) ou à soutenir des initiatives qui renforcent l’animation et l’appropriation d’équipements déjà livrés.

La deuxième, au Burkina Faso, concerne le programme de développement urbain durable de la ville de Ouagadougou. Elle vise à structurer des pôles secondaires, en y investissant notamment dans les équipements et espaces publics et verts. La pépinière permet de réaliser des projets d’urbanisme transitoire pour tester les aménagements futurs et réinterroger ainsi leur conception. Elle permet aussi de soutenir des associations locales pour animer les sites des projets.
Fortement soutenue par la maîtrise d’ouvrage, chaque pépinière intègre, dès le démarrage, des méthodes collectives de construction de projet via des ateliers réunissant institutions publiques, experts de l’urbain et société civile. Leur mise en œuvre est confiée à des acteurs tiers, organisations de la société civile compétentes en ingénierie de projet participatif et innovant, en bonne articulation avec la maîtrise d’ouvrage.

Six mois après le démarrage, on constate l’importance de la mobilisation technique et politique des maîtres d’ouvrage. Voilà qui permet d’assurer des retombées effectives sur le projet urbain (infléchissements potentiels de certaines orientations initiales), sur les relations des autorités publiques avec leurs concitoyens. Cette mobilisation conditionne aussi leurs capacités à reconduire ces méthodes innovantes de participation. De nouvelles compétences et expertises locales pour la co-conception et co-construction de l’espace public émergent, entre le participatif, l’architecture, le design urbain, et la construction, à travers laquelle les ressources et savoir-faire artisanaux peuvent être valorisés (bois, métal, pneus, etc.).

In fine, l’innovation principale de ces démarches réside probablement dans l’expérimentation de la transformation de la conduite de projets urbains.