Bulletin n°113

Répondre aux enjeux des villes du sud par le paysage

En s’appuyant sur des exemples de coopération, à Addis-Abeba, Ho-Chi-Minh-Ville et Sétif, Frédéric Ségur, directeur du service arbres et paysage au Grand Lyon, et Anaïs Prével, paysagiste à l’agence d’urbanisme de l’aire métropolitaine lyonnaise, analysent comment le paysage est un levier à la fois de préservation des ressources naturelles et de participation des habitants.

Addis-Abeba
©UrbaLyo - Face au réchauffement climatique, Addis-Abeba, comme de nombreuses villes du Sud, est confrontée à l’urgence, du fait de la vitesse de la croissance urbaine.

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Notre civilisation est de plus en plus confrontée aux effets négatifs liés à la forme même de notre habitat, devenant essentiellement citadin: concentration des pollutions, amplification des impacts des canicules estivales par l’îlot de chaleur urbain, exposition au bruit et au stress…
Sans doute plus encore que les villes occidentales, les villes du Sud sont confrontées à de nouveaux enjeux liés au réchauffement climatique. Elles sont en tout cas certainement confrontées à l’urgence, du fait de la vitesse de croissance urbaine, et à l’ampleur accrue des évènements « naturels » (mais issus des actions humaines): nombre et force des typhons accentués à Ho-Chi-Minh-Ville et salinisation des eaux, épisodes de sécheresse plus longs et pluies plus violentes à Addis-Abeba, désertification accrue à Sétif, etc.

La question du paysage dans les villes du Sud est intrinsèquement issue de ces enjeux: les paysages se transforment sous les effets des changements naturels et les paysages urbains, dont nous sommes responsables, doivent évoluer pour s’adapter. Le paysage comme approche a la spécificité de travailler avec le vivant. Il constitue donc une clé pour repenser nos villes.

La notion de ville végétale n’est pas nouvelle et a été explorée par de nombreuses civilisations dans tous les continents. Les théoriciens des métropoles modernes de la seconde moitié du XIXe siècle par exemple avaient déjà intégré ces enjeux. Ils avaient proposé un modèle urbain organisé autour de réseaux de parcs et de promenades dont les fonctions et « services » attendus dépassaient largement les seuls objectifs d’embellissement. Ces derniers portaient déjà sur les questions d’amélioration de la qualité de l’air, d’ombrage, de santé et de bien-être.
Ce modèle a également été appliqué aux villes développées par la France dans ses anciens protectorats. Par exemple Saigon (Ho-Chi-Minh-Ville aujourd’hui) a été conçue comme une ville jardin composée de parcs et d’avenues plantées d’alignements réguliers d’arbres. Et cet héritage historique est aujourd’hui encore un élément central de l’identité de cette métropole.

La redécouverte des « services écosystémiques »
Les multiples bienfaits rendus par la nature en ville remettent en avant la question de l’équilibre ville/nature. La végétation, et en particulier la figure de proue qu’est l’arbre, est sans équivoque un facteur clé de la résilience urbaine Le besoin d’ombrage, de rafraichissement, la nécessité de prendre soin des ressources naturelles au premier rang desquels l’eau et le sol, les liens de notre santé mentale et physique à la présence de végétation en témoignent. Or les « solutions basées sur la nature » offrent tout un panel de mises en oeuvre techniques susceptibles de traiter simultanément de nombreux enjeux urbains: lutte contre les îlots de chaleurs, gestion du cycle de l’eau et prévention des risques d’inondations, amélioration de la qualité de l’air, augmentation de l’attractivité résidentielle et économique, lutte contre l’érosion de la biodiversité…

Si ces ambitions et ces techniques se développent dans de nombreuses villes occidentales, elles sont aujourd’hui également au coeur des attentes des métropoles en développement des pays du Sud. Aussi la protection et le développement de la nature en ville est un des sujets de coopération pour lequel la métropole de Lyon est de plus en plus sollicitée. Cette thématique peut être appréhendée à plusieurs échelles, selon des approches associant théorie et pratique.

Plusieurs échelles d’appréhension
La première échelle concerne la prise en compte des espaces de nature dans la planification urbaine, notamment pour les métropoles en forte croissance. Dès cette échelle, l’approche paysagère permet d’interroger les spécificités du contexte pour préserver les ressources vitales et s’accorder à la géographie.
En s’attachant tout d’abord aux « vides », en réalité pleins de vie, que sont les espaces non bâtis, l’approche paysagère appliquée au travail de définition du master plan d’Addis-Abeba a permis de préserver des corridors naturels autour des huit rivières traversant le territoire. Se constitue ainsi une importante trame verte et bleue, reliant au centre-ville les montagnes d’Entoto, Yerer et les zones naturelles de Menagesha et d’Aba Samuel. Aujourd’hui, la requalification de la principale d’entre elles, portée par le Premier ministre, est le projet Sheger, porteur de l’image de la ville.
La deuxième échelle concerne la prise en compte du paysage dans les projets urbains.
La plus-value du paysage à cette échelle est sa multi-appartenance. Chacun, quelle que soit sa profession et son statut, se sent concerné par le paysage dans lequel il vit. L’approche paysagère permet donc la mise en commun des points de vue des élus, des techniciens, des habitants, des professionnels, de tous horizons et de tous âges. Toutes les opinions ont la même valeur. Chacun s’approprie alors le paysage permettant ainsi la création de projets partagés. De ce fait, les concepteurs auront à coeur la qualité du cadre de vie, dans ses significations les plus diverses et en fonction des besoins locaux.

Travailler avec tous les acteurs
Le travail à Sétif a permis, grâce à la coopération, d’identifier le besoin de création d’une charte « trame verte ». Elle a été élaborée par les services de la ville (environnement, espaces verts, infrastructures, urbanisme) avec, entre autres, des chercheurs et des enseignants. La charte, à l’origine d’une récompense décernée à la ville depuis, est utilisée lors de la création de nouveaux quartiers. Elle a également été appliquée pour la réhabilitation de quartiers en difficulté avec des espaces publics en mauvais état. L’approche paysagère permet le dialogue avec les habitants. La création de micro-espaces verts en réponse à leurs besoins engendre une meilleure appropriation par la population.
La dernière échelle concerne la gestion des espaces de nature en ville, en termes d’organisation comme de techniques. Elle se concentre souvent sur les arbres, dont la gestion nécessite des connaissances spécifiques souvent insuffisamment maitrisées dans ces pays. Un travail de formation de formateurs locaux a été mené avec les acteurs locaux de Ho-Chi-Minh-Ville. Techniques de diagnostic sanitaire et mécanique des arbres, d’élagage, afin d’améliorer la prévention des accidents et d’assurer la durabilité des plantations urbaines étaient au programme. Ces travaux ont été réalisés en partenariat avec des représentants universitaires afin de créer un lien scientifique susceptible d’accompagner la création de référentiels locaux sur le comportement des essences.

De la planification urbaine aux techniques d’arrosage
Reprenons nos trois échelles comme des poissons-pilotes nous permettant de synthétiser l’approche paysagère comme l’une des solutions face au réchauffement climatique. La préservation d’espaces de nature très en amont de l’urbanisation est essentielle pour la planification. Grands parcs au sein du tissu urbain, « hubs végétaux » à proximité des hubs multimodaux, chemins de l’eau intégrés en amont de la définition des zones à urbaniser, assureront un minimum pour la qualité de l’air et de l’eau.
Les notions de grande trame dans les villes du Sud interrogent la maîtrise du foncier pour les déplacements et les réseaux. Mais le défi est plus intense encore pour dédier du foncier au non bâti et le préserver au fil du temps et des pressions. Les outils à construire sont donc ceux de conservation du foncier.
Pour la conception des projets urbains, la définition du végétal est désormais intrinsèquement entremêlée à celle du dessin des rues et des bâtiments. C’est une capillarité maximum qui évitera la création d’îlots de chaleur générés par des surfaces imperméables et arides.
Enfin, lors de la réalisation des espaces de nature, on choisira des essences adaptées aux changements climatiques. Seront aussi pris en compte les type de sols, les faibles ressources en eau, les techniques d’arrosages (oyas, paillage, goutte à goutte, récupération et conservation des eaux de pluie ou des puits). Autant de données capitales pour les territoires du Sud soumis aux aléas naturels, à la raréfaction des ressources, à la pression démographique…

Setif-Algérie

©UrbaLyon – La charte « trame verte », définie dans le cadre de la coopération entre le Grand Lyon et Sétif en Algérie, est mise en application dans toute conception de nouveau quartier.