Bulletin n°114

Accompagner les petites villes du sud de la Mauritanie

Lucie Crotat est consultante en habitat et développement urbain. Ses missions auprès des acteurs publics se concentrent sur l’Afrique de l’ouest. À partir des caractéristiques des villes secondaires de Mauritanie, elle passe en revue les modes d’accompagnement aptes à leur permettre de répondre aux défis démographiques et à se positionner dans le développement national.

Accompagner les petites villes du sud de la Mauritanie
Kaédi, capitale régionale au bord du fleuve Sénégal est en pleine extension. Une planification urbaine adaptée pourrait permettre d’accompagner le développement des quartiers informels et d’y déployer des services. © Lucie Crotat 2018

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En Mauritanie, l’urbanisation s’est accélérée du fait d’un exode rural de grande ampleur, lié à la dégradation des conditions climatiques. La proportion de population vivant en ville a plus que doublé ces quarante dernières années, passant de 22,7% en 1977 à 48,3% en 20131. La capitale, Nouakchott, concentre à elle seule plus de la moitié (57,8%) de la population urbaine avec 1 155 000 habitants2. La Mauritanie, qui compte près de 4 millions d’habitants3, demeure encore un pays majoritairement rural. En revanche, les projections du PNUD estiment qu’il devrait devenir majoritairement urbain vers 2025 et sa population devrait dépasser les 5 millions en 2030.
Dans ce contexte, et compte tenu de l’étendue du territoire mauritanien, les villes de l’intérieur connaissent de profondes mutations. Si les zones rurales, notamment celles du sud du pays, sont constituées principalement d’installations récentes, peu peuplées (60% des établissements ruraux comptent moins de 150 personnes)4, les capitales régionales qui proposent quelques services de dimension régionale (enseignement, santé, administration, …)5 voient aussi leur population augmenter comme Nouadhibou (120 000 habitants), Kiffa (60 000 habitants), ou encore Kaédi et Rosso (50 000 habitants).

Investir ces villes pour créer des emplois et améliorer les conditions de vie

Intervenir dans les villes intermédiaires en Mauritanie, c’est donc s’intéresser à de petites ou moyennes villes, récemment urbanisées. Celles-ci offrent des équipements qui, certes, proposent un meilleur niveau de service qu’en milieu rural mais ils se retrouvent très rapidement sous-estimés, sous-évalués, saturés voire dépassés par l’extension urbaine et la croissance démographique. Par exemple, une ville comme Aïoun, capitale régionale du Hodh El Gharbi voit sa population doubler en période scolaire avec l’afflux des populations rurales environnantes en vue de la scolarisation des enfants. Autre exemple, Kiffa accueille, grâce à son hôpital régional, de nombreux malades de tout l’est et sud mauritanien.

L’accompagnement du développement urbain de ces villes signifie donc en premier lieu de rattraper le déficit en infrastructures. Enjeu de taille, d’autant qu’il pourrait contribuer à soutenir le développement durable des villes. Ainsi, les villes du sud de la Mauritanie bénéficient d’une localisation stratégique, le long de la route de l’espoir, corridor reliant l’Europe via le Maroc au Mali et au Sénégal.

Le long de cet axe, des villes se sont développées, facilitant l’accès aux marchés des régions agricoles et offrant un meilleur accès aux services que dans les localités rurales. Cependant, leur croissance est restée relativement modeste au regard des deux premières villes du pays, Nouakchott et Nouadhibou, qui ont accueilli la grande majorité des migrations liées à la mobilité économique (notamment celle des jeunes hommes)6. En Mauritanie, malgré une décennie de croissance, les situations de pauvreté demeurent très présentes (un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté)7 et près d’un tiers de la population active est au chômage, les femmes et les jeunes étant plus fortement touchés8. Or, c’est particulièrement dans les zones rurales et agropastorales du sud et du centre du pays que l’on observe ces situations, source importante de mobilité démographique.

Des villes secondaires comme enjeu national

Comment permettre à certaines de ces villes intermédiaires de se positionner dans le système national ? Comment tisser un maillage de villes secondaires qui viendraient appuyer la capitale, là où il n’est pas rare de compter 300 km de distance entre deux villes ?
Par ailleurs, la diversification des secteurs créateurs d’emplois reste un des grands défis pour le pays. Le dynamisme économique (croissance du PIB de 3,6% en 2018) est essentiellement porté par l’industrie extractive et minière et l’industrie de la pêche, ainsi que par la construction9. Les deux premiers secteurs, tournés vers l’exportation (respectivement 53% et 45% des exportations mauritaniennes) concernent les régions littorales et nord du pays et ne sont guère créateurs d’emplois. Comment proposer aux habitants et acteurs économiques locaux une alternative à la capitale, notamment dans les secteurs phares de l’économie (agriculture, pastoralisme, pêche, transport,…) à fort potentiel de création d’emplois ?
Améliorer l’équilibre national et régional pourrait ainsi entraîner une nouvelle dynamique et révéler le potentiel économique et urbain des villes de l’intérieur dans leur hinterland. Investir dans le développement des villes secondaires pourrait ainsi contribuer à la création d’emplois, à l’amélioration des conditions de vie et in fine à la réduction de la pauvreté. Accompagner les acteurs locaux dans l’identification et la maîtrise d’ouvrage des équipements devrait améliorer l’efficience des projets réalisés.

Sélibabi, capitale régionale du Guidimakha

Ville de service, Sélibabi, capitale régionale du Guidimakha, devient un carrefour commercial. L’aménagement de la place centrale pourrait améliorer la circulation des populations et des biens et créer les conditions pour une multiplication des échanges. © Lucie Crotat 2019

Planifier pour mieux gérer, mieux développer

L’articulation entre développement urbain et économique et décentralisation va nécessiter de relever de nombreux défis. Et particulièrement celui de la planification de la gestion des terres urbaines, du développement et de son appropriation par les communes.
Depuis les années 2000, la Mauritanie s’est dotée de la plupart des outils de planification urbaine pour les principales villes : élaboration de SDAU et PLU10, mise en place du cadre juridique11. Force est de constater que ces documents s’avèrent peu opérationnels, peu utilisés voire même méconnus. En l’absence de données fiables et contextualisées, de vision prospective et stratégique du développement de chacune des villes ou dans l’expectative d’une validation, ces outils proposent une vision figée des villes, très rapidement caduque. Et ils ne prennent pas en compte les dynamiques urbaines et économiques des villes de Mauritanie.

Faute de documents programmatiques, les ministères sectoriels interviennent, depuis Nouakchott, au gré des politiques nationales et/ou des sollicitations des autorités locales. Si ces interventions augmentent le niveau d’équipement des villes, ces équipements ne répondent pas systématiquement aux besoins des habitants, ne sont pas localisés dans des sites stratégiques au plan économique, et peuvent s’avérer peu utilisés (gares routières ou marchés excentrés).

Des méthodes adaptées aux petites villes

Comment réaliser des outils efficients, efficaces pour accompagner ces communes vouées à se développer ? Comment enrayer leurs dysfonctionnements actuels et préparer leurs extensions ? Comment planifier sans figer ces villes ? Les acteurs des communes connaissent leurs besoins et sont en mesure d’établir une liste d’investissements à réaliser pour améliorer l’accès aux services et rattraper les retards. Les approches plus ou moins récentes comme celles menées par UN-Habitat à travers City Resilience Action Plannning Tool12 ou celle des Plans urbains de référence de la Banque mondiale13 proposent des méthodologies adaptées aux villes de petite taille, notamment en impliquant les acteurs locaux, sujet majeur en Mauritanie.
L’enjeu tient donc dans la proposition d’outils réalistes, pragmatiques et opérationnels de planification spatiale du développement urbain et économique de la ville. Des outils de partage, de pilotage, de gestion, de maîtrise d’ouvrage sont nécessaires. Ainsi, les principaux acteurs des villes secondaires pourront accompagner les dynamiques locales, lever les freins et dégager les priorités de leurs communes en devenir.
Intervenir dans les petites villes en Mauritanie, c’est leur proposer de se doter d’outils, de compétences, d’ambitions pour créer les conditions de leur développement. Parmi elles, les plus connectées et attractives deviendront des villes intermédiaires.

Le Gouvernement mauritanien s’est engagé, avec l’aide de la Banque mondiale, dans un projet d’appui à la décentralisation et au développement des villes intermédiaires productives Moudoun. Ce projet vise à améliorer la productivité des villes intermédiaires et à renforcer les institutions locales afin qu’elles jouent pleinement leur rôle dans le développement économique des territoires de la Mauritanie. Il est prévu, entre 2020 et 2025, d’atteindre cet objectif à travers le financement d’infrastructures et l’amélioration de l’accès aux services urbains, l’amélioration des finances locales et le renforcement de capacités pour accompagner le développement de sept villes du sud de Mauritanie préalablement identifiées.

Pour en savoir plus : https://projects.banquemondiale.org/fr/projects-operations/project-detail/P169332