Bulletin n°114

Construire un avantage collaboratif entre les villes intermédiaires

Josh Drake est spécialiste en développement économique urbain à Cities Alliance. Il coordonne le programme sur la promotion d'une croissance économique équitable dans les villes (JWP-EEG)1. Grâce à ses opérations mondiales et nationales, Cities Alliance suscite des partenariats, des connaissances et des investissements pour améliorer les opportunités de développement des villes secondaires dans les économies émergentes.

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culture du café

La culture du café offre un dénominateur géographique, historique, économique, culturel et écologique commun à la région dite le Triangle du café.

Les villes secondaires constituent l’un des territoires les plus importantes, et pourtant les plus négligées, pour contribuer à la mise en œuvre des objectifs de développement durable (ODD). On estime qu’environ 20 % de la population mondiale vit dans des villes secondaires, dont la population varie de 100 000 à 2,5 millions d’habitants et dont la taille représente entre 10 et 50 % de celle de la plus grande ville d’un pays. Avec leurs centres économiques, sociaux et logistiques eux-mêmes partie prenante de chaînes de production nationale, les villes secondaires jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement des économies régionales et nationales. Elles font le lien entre les grandes métropoles et les petites villes régionales et zones rurales de l’arrière-pays, facilitant l’échange de biens et de services, et offrant souvent une base aux industries primaires et agricoles.
Toutefois, les inégalités entre villes croissent. La distorsion entre les grandes agglomérations et les petits centres urbains privent nombre de leurs habitants et de leurs entreprises des possibilités offertes par la croissance économique des grandes villes. Les villes secondaires sont confrontées à une série de désavantages compétitifs. Dans la plupart des cas, elles ne peuvent pas autant récolter les fruits de l’urbanisation que les grandes zones métropolitaines. En raison de leur faible démographie, elles ne génèrent pas suffisamment d’économies d’échelle et peinent à attirer des travailleurs qualifiés et à susciter des investissements. Les grandes villes sont considérées comme les moteurs de la croissance économique. Par conséquent, le potentiel de développement des villes secondaires a souvent été négligé et mal compris dans les sphères de la décision politique.
Compte tenu des perspectives de développement inégales des villes secondaires, Cities Alliance a construit, dans un cadre partenarial, le programme de « promotion d’une croissance économique équitable dans les villes » (JWP-EEG). Les deux principaux enseignements et enjeux critiques en sont les suivants :

  • Les villes secondaires peuvent surmonter leurs désavantages compétitifs en travaillant ensemble pour obtenir un « avantage collaboratif », fondé sur une mise en réseau et un partage des ressources accru, qui seront le moteur de leur prospérité.
  • Les villes secondaires ne peuvent promouvoir une croissance économique équitable que si elles améliorent la fourniture de biens et de services publics de base, ciblés sur les populations les plus vulnérables.

Vers un « avantage collaboratif » entre les villes secondaires

Jusqu’à présent, une grande partie des politiques concernant les villes secondaires se sont concentrées sur le renforcement indépendant de leur compétitivité, par le biais de la création d’infrastructures urbaines, de pôles industriels et de cadres de régulation favorables. Le gain de ces politiques s’est avéré marginal par rapport à l’amélioration de la connectivité et de la collaboration interurbaines, comme nous l’indiquons dans notre livre Connecting Systems of Secondary Cities2. Cet ouvrage est un plaidoyer pour l’adoption d’une approche par « systèmes de villes » afin de générer un « avantage collaboratif ». Celui-ci repose sur la création d’une « articulation architecturale stratégique » entre les villes, leur permettant de mieux intégrer, partager et exploiter connaissances et ressources publiques. La connectivité doit être améliorée par des infrastructures matérielles et immatérielles entre les villes : infrastructures physiques, telles que routes et télécommunications, et réseaux sociaux, culturels et technologiques.

Cities Alliance défend l’idée qu’en se concentrant sur ces facteurs, les flux et les échanges au sein des systèmes de villes s’accélèreront. Facteur d’innovation, cette approche engendrera de nouvelles opportunités pour les entreprises et, au final, des économies plus résilientes. Les systèmes de villes ont suscité des études et des réalisations originales dans différentes parties du monde. La Banque mondiale les a mis en œuvre dans le cadre d’un programme de 100 millions de dollars en Ouzbékistan afin de valoriser le rôle des villes secondaires.

Le Triangle du café en Colombie, exemple de collaboration interurbaine

Le Triangle du café colombien

Le Triangle du café colombien est formé par les trois villes secondaires d’Armenia, Pereira et Manizales

Le « Triangle du café » colombien (en espagnol : Eje Cafetero) accueille les trois villes secondaires d’Armenia, Pereira et Manizales, produisant la majeure partie du café colombien. Ces villes comptent chacune entre 300 000 et 500 000 habitants et jouissent d’une autonomie importante en tant que capitales de leurs États respectifs. Au cours du XXe siècle, leurs relations étaient celles de l’autonomie et de la rivalité dans la culture traditionnelle du café, avec des économies monolithiques. Toutefois, après le tremblement de terre dévastateur de 1999 et la chute des prix du café au niveau international, confrontées à d’importantes difficultés économiques, ces villes ont dû réinventer leurs relations.
Suite à la promotion par le gouvernement national d’accords de prospérité entre 2010 et 2014, une nouvelle coopération urbaine a été mise en place. Convaincues que la culture du café ne pouvait plus être la seule source de prospérité économique, les trois villes ont reconnu que la spécialisation et les interdépendances positives profiteraient à toutes. Pour soutenir cette intégration, l’État a fourni des fonds pour améliorer l’infrastructure routière reliant les trois villes et a soutenu le développement d’un aéroport régional.
Avec l’amélioration de leur connectivité matérielle et immatérielle, chaque ville a pu diversifier son économie en fournissant les produits et services de base dont ont besoin des zones urbaines qui, auparavant, n’étaient considérées que comme concurrentes. L’augmentation du nombre de entreprises créées immédiatement après l’accord témoigne de l’efficacité de ces accords de prospérité.
Reste encore un travail à faire pour parvenir à une intégration complète. Il manque par exemple des transports publics interurbains pour faciliter la circulation des travailleurs. Toutefois, la voie de la coopération est politiquement et socialement acceptée dans le Triangle. L’investissement et le soutien de l’État ont été fondamentaux. Aujourd’hui, tous les acteurs, locaux et nationaux reconnaissent que cette approche collaborative est le meilleur moyen pour les petites villes de prospérer.

Source Cities Alliance (2019), Connecting Systems of Secondary Cities, Cities Alliance/UNOPS, Brussels.

Améliorer l’accès aux biens et services publics essentiels

La mise en œuvre de la stratégie du JWP-EEG dans les villes secondaires s’est faite dans le cadre de « campaign cities ». Cette initiative a permis d’établir des city-level partnerships (CLP), partenariats interurbains dans huit villes secondaires de quatre pays : Bangladesh, Ouganda, Ghana et Kenya. Les CLP ont facilité le dialogue entre les représentants des gouvernements locaux et leurs partenaires pour identifier les services publics prioritaires qu’ils souhaitaient renforcer (voir tableau).
Cette initiative a débouché sur des policy briefs et des recommandations opérationnelles. Les améliorations de biens et services publics dans chaque ville touchent par exemple : les équipements pour les marchés locaux, la gestion des déchets médicaux, la création d’un centre de services pour les femmes. L’approche participative et bottom-up de l’initiative campaign cities s’est avérée un modèle réussi de changement fondé sur des expertises locales. Cela est clairement apparu dans les enquêtes menées auprès des parties prenantes, avec des taux de satisfaction très élevés quant à l’utilité de l’initiative et à la probabilité de bénéficier du soutien des gouvernements locaux

biens publics et croissance économique équitableLes liens entre biens publics et croissance économique équitable identifiés dans l’initiative campaign cities

Au-delà des spécificités locales des initiatives campaign cities, certains enseignements communs peuvent être tirés d’une croissance économique parfois peu équitable et d’obstacles rencontrés pour la mise en œuvre des programmes. Un processus de décentralisation incomplet des responsabilités, des fonctions et des ressources a pu compliquer la fourniture efficace de services. L’éclatement des compétences fonctionnelles des gouvernements locaux urbains, les capacités et ressources limitées des différents organismes impliqués sont d’autres freins observés. Il faut également noter une planification et des systèmes réglementaires insuffisants pour pouvoir gérer efficacement le foncier urbain. Certains conseils municipaux n’avaient pas de mandats clairs en matière de juridiction foncière, conduisant à des développements non autorisés et informels. Enfin, de nombreuses administrations municipales ne disposaient pas de recettes propres suffisantes. Et le décalage entre les montants promis et les montants réels transférés par les gouvernements centraux était important.
Sur la base de ces enseignements, les futurs programmes pour une croissance économique équitable des villes secondaires doivent viser à garantir trois conditions générales. Premièrement, des fonds suffisants provenant de sources publiques ou privées doivent être disponibles pour financer la mise en œuvre des projets concernés. Pour les autorités municipales, cela impliquerait de s’assurer qu’elles ont :

  • des recettes propres stables,
  • des transferts fiscaux appropriés de la part du gouvernement central et un système rationnel de règles intergouvernementales en matière de transferts fiscaux,
  • des possibilités d’emprunt effectives.

Deuxièmement, pour allouer les fonds disponibles, il est nécessaire de mettre en place une stratégie de développement économique et d’investissement. Cela permet de s’assurer que les fonds peuvent être dirigés vers des projets de biens et de services publics contribuant à une croissance équitable. Troisièmement, un régime de gouvernance efficace doit être institué afin que les deux premières conditions soient acceptées et soutenues activement par les bénéficiaires cibles, y compris les habitants et le secteur privé.

Ouganda, Mbale et Gulu : promouvoir la croissance équitable des villes secondaires

La population urbaine de l’Ouganda croît rapidement, sous l’effet de taux de fertilité élevés, de l’exode rural et de la reclassification des usages fonciers. Les partenariats entre villes (CLP) que Cities Alliance a établis à Mbale et à Gulu ont tiré parti de « forums de développement municipal » (MDF) existants qui avaient été suscités par le programme national de Cities Alliance Ouganda de 2013 à 2018. Les MDF sont des plateformes multipartites formalisées où les populations pauvres, les autorités locales, les fournisseurs de services, le secteur privé et d’autres partenaires se rencontrent, débattent des priorités et conviennent d’approches municipales en matière de développement urbain favorables aux plus pauvres.
Dans l’élaboration des diagnostics locaux, les partenaires ont débattu de la manière dont les biens et services publics municipaux pourraient contribuer directement à une croissance équitable. La priorité première concernait l’utilisation des espaces publics et l’amélioration de la gestion foncière. Il s’agissait de soutenir les activités génératrices de revenus et de répondre aux besoins de développement économique local. Les partenaires ont pointé la rareté des terres et espaces publics disponibles à Mbale et Gulu, ne dépassant pas 0,85 hectares pour 1 000 habitants. En outre, leur répartition entre les communes est inégale et le peu qui existe souffre d’un manque d’entretien et d’une mauvaise gestion institutionnelle.
Avec l’aide d’experts locaux, les partenaires ont élaboré des recommandations politiques fondées sur des éléments concrets pour la gestion de l’espace public et du foncier. Parmi ces recommandations, figurent :

  • l’établissement d’une base de données sur les biens et les actifs municipaux
  • l’inscription de la gestion du foncier public dans une stratégie de développement municipal générale ;
  • la valorisation du maire comme « champion » de la gestion de l’espace public
  • l’exploration de moyens alternatifs de financement de la gestion foncière, tels que la captation des valeurs foncières et la mise en place de réserves foncières.

Il a ensuite été recommandé que Gulu et Mbale élaborent immédiatement des plans d’action et des mesures pour mettre en œuvre ces approches de gestion foncière.