Bulletin n°114

Cœurs de ville du nord au sud, un défi pour les villes secondaires

Dans les ministères français - Transition écologique et Cohésion des territoires - les villes secondaires font l’objet des préoccupations de la direction des affaires européennes et internationales. Hervé Boisguillaume, directeur du projet ville durable et sa collaboratrice Djamila Ioualalen-Colleu, chef de projet, nous font partager leur problématique pour les renforcer. Le rapprochement avec les programmes mis en œuvre dans les pays dits du Nord enrichit la réflexion.

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Cœurs de ville du nord au sud, un défi pour les villes secondaires

Les rencontres d’Abidjan sur les villes durables les 27 et 28 février 2020 ont réuni plusieurs centaines de représentants de la société civile, d’experts, d’entrepreneurs et de responsables politiques.

Les villes secondaires constituent un enjeu essentiel dans tous les pays. Partout, elles subissent les effets négatifs de l’attraction des métropoles, notamment en termes d’emploi, de vieillissement des infrastructures et des logements, d’offre insuffisante en matière de santé, d’éducation, de culture.

Le renforcement des villes secondaires est pour les ministères de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires ainsi que pour leurs partenaires, notamment la task force ville durable du Medef, un axe prioritaire d’action dans les pays émergents. Chaque mois, les villes accueillent cinq millions de nouveaux citadins. Dans ce contexte, les villes secondaires peuvent agir en évitant afflux de population et congestion des mégapoles. Elles peuvent lutter contre les effets négatifs sur l’environnement (artificialisation des sols, pollution de l’air et de l’eau, inondations), sur le développement social (habitat insalubre, ségrégation urbaine), sur l’accès aux services urbains (notamment transports, eau, déchets, énergie).

Dans les États plus développés, elles sont un enjeu d’équilibre et de maintien de la qualité de vie et des services publics, favorisant le développement durable de l’ensemble du territoire.

Partout, les villes secondaires sont un atout pour la transition écologique et la lutte contre les effets du changement climatique. Dans la période de crise actuelle liée au Covid-19, elles ont un rôle à jouer pour construire une ville plus équitable, plus résiliente et inclusive, plus sobre et solidaire.

Mettre à profit les programmes français

Les programmes récents de l’État français et les multiples expériences des villes françaises sont un atout pour mener des échanges fructueux avec nos pays et villes partenaires dans le monde.

Ville secondaire, ville moyenne, ville intermédiaire, comment qualifier la ville hors des métropoles et des grandes agglomérations : par sa taille, son rang, ses flux ou ses fonctions ? En France, les petites villes comptent en général de 3 000 à 20 000 habitants. Les villes moyennes, en référence au programme lancé par la Datar en 2005-2009, concernent les aires urbaines de 30 000 à 200 000 habitants. Les élus, quant à eux, considèrent que les villes secondaires incluent les communes-centres de 20 000 à 100 000 habitants.

Au niveau international, les écarts de seuil différent. Celui pour l’appellation de petite ville est de 250 habitants au Danemark, 10 000 en Pologne, contre 30 000 au Japon. Pour l’organisation Cités et gouvernements locaux unis (CGLU), les villes intermédiaires ont une population comprise entre 50 000 et un million d’habitants.

L’enjeu de la Déclaration d’Abidjan

Les représentants de collectivités territoriales de 30 pays africains ont adopté la « Déclaration d’Abidjan sur les villes durables ». Celle-ci concrétise l’engagement des territoires et appelle les gouvernements à élaborer des politiques urbaines propres à faire émerger des villes à la fois durables et intelligentes.

40% des Africains vivent en ville. Ce chiffre va exploser, le continent passant de 470 millions d’habitants à 1,2 milliard en 2050. Contrairement à certaines idées reçues, ce sont tant les villes secondaires que les capitales qui seront le moteur de cette urbanisation galopante. Longtemps ignorés, ces centres urbains pourraient faciliter les mutations et la transition écologique des pays. Des initiatives ont émergé avec l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) à l’occasion des Rencontres d’Abidjan sur les villes durables les 27 et 28 février 2020.
Cet événement préparatoire au Sommet Afrique-France de Bordeaux (reporté en 2021), était organisé à l’initiative du ministre de la ville ivoirien, François-Albert Amichia, avec l’appui du Fonds mondial pour le développement des villes (FMDV), en présence du ministre de la ville français. 400 personnes d’une trentaine de pays participaient à cet événement, représentants de ministères, élus locaux, acteurs publics et privés de l’urbain des pays de l’UEMOA, du Maroc, du Cameroun, de Madagascar et de France. La Déclaration d’Abidjan adoptée à l’issue de ces rencontres, met l’accent sur les outils modernes de planification. On peut y lire : Ils permettent d’appréhender la ville durable selon une démarche différenciée qui tienne compte de l’échelle des métropoles en tant que moteurs de transformation durable, des villes intermédiaires en tant que vecteurs de la résilience sociale, économique et environnementale, et des petites villes en tant que leviers de développement local et encadrées pour le monde rural. À l’issue de l’événement, une alliance des ministres de la ville a été créée.

Une coopération urbaine Nord-Sud et un label écoquartier africain

Le président de la commission de l’UEMOA, organe exécutif de cette institution, a insisté sur l’émergence des villes secondaires, relais indispensables entre les grandes villes et les espaces ruraux. Un programme de coopération est en cours de finalisation entre la France et l’UEMOA pour relever les défis urbains de demain et engager les villes africaines dans la transition écologique et énergétique vers des stratégies bas-carbone. La France apportera un appui pour créer un label écoquartier africain. Dans un premier temps, elle accompagnera cinq villes de l’Union dans cette démarche écologique.
Avec le programme « Réinventons nos cœurs de ville », les experts portent des regards croisés. La mise en œuvre de la Déclaration d’Abidjan se traduit dans la volonté de développer des échanges d’expertises, notamment sur le programme français « Action cœur de ville ». De nombreux États et villes étrangers s’intéressent à ce programme lancé en 2017 pour lutter contre la déshérence économique et sociale des villes secondaires.
L’enjeu est de faciliter l’émergence de programmes urbains innovants en centre-ville qui s’appuient sur des partenariats entre institutions publiques et opérateurs privés, société civile et professionnels de l’urbain, investisseurs et concepteurs. 222 projets de villes bénéficient ainsi de ce dispositif. Certains montrent déjà des résultats positifs, notamment à Moulins, lauréate de la première Marianne d’or « Cœur de ville ». Le projet portait sur la mobilité, la rénovation de logements, la réimplantation de commerces et le maintien des services publics au centre-ville.

Les villes secondaires au centre des travaux bilatéraux des ministères

La coopération franco-japonaise sur les villes durables porte notamment sur la revitalisation des villes secondaires japonaises, confrontées à une forte baisse démographique et un vieillissement accéléré de leur population. Pour doper leur attractivité, par un aménagement urbain et une gestion des espaces publics renouvelée, le Japon a lancé un programme Walkable cities (villes où il fait bon flâner). Les échanges sur le programme Cœur de ville initiés en 2019 se poursuivent pour développer des expertises de ville à ville en vue du prochain groupe de travail qui se réunira au Japon en 2021.
Le groupe de travail franco-indonésien sur le développement urbain aborde également la question des villes secondaires, suite aux échanges menés par l’Ademe avec plusieurs municipalités d’Indonésie pour les accompagner dans la planification d’un urbanisme respectueux des enjeux climatiques et énergétiques. Une des priorités fortes de la coopération bilatérale ces prochaines années sera la création d’une nouvelle capitale sur l’île de Bornéo, sur des terres aujourd’hui largement vierges.

Concours ville durable pour accompagner la transition écologique bas-carbone

Pour favoriser les bonnes pratiques menées au niveau des municipalités, l’ambassade de France en Pologne a lancé en 2014 l’initiative Eco-Miasto (ville écologique), avec les ministères polonais de l’environnement et des infrastructures et la ville de Varsovie. Autour d’un concours, financé en partie par les entreprises françaises innovantes, et d’une conférence internationale sur la ville durable, associant des élus locaux des deux pays, des projets de villes polonaises de toute taille, dans différentes catégories (efficacité énergétique, énergie, déchets, eau, mobilité, qualité de l’air, espaces verts) sont primés. Les villes gagnantes remportent un voyage d’études en France avec les villes partenaires identifiées. Eco-Miasto connaît un succès croissant, avec 69 villes polonaises lors de la dernière édition. Un projet similaire a été lancé en Roumanie, avec Orase Durabile, concours qui a permis de diffuser l’expérience française et facilité les contacts entre élus des deux pays.

Au regard de ses programmes nationaux, des expériences menées dans ses villes et territoires, des outils développés par les entreprises et d’autres acteurs privés, la France a une carte à jouer au niveau international. L’objectif est de promouvoir une ville durable et résiliente, engagée dans la transition écologique bas-carbone, construite avec les citoyens et qui intègre de nouvelles formes de gouvernance.